Où couper dans les dépenses?
Trois exemples qui fâchent
Parmi les 5 candidats « principaux » à l’élection présidentielle, on peut distinguer deux groupes: ceux qui refusent toute forme de contrainte budgétaire (Melenchon, Le Pen) et les 3 autres, dont font partie les deux favoris.
Parmi ceux-là, certains veulent faire baisser fortement la dépense publique (Bayrou, 50 Mds€/an), la stabiliser rapidement (Sarkozy), la stabiliser un peu moins rapidement (Hollande). Ensuite, chacun complète avec des hausses d’impôt plus ou moins fortes. Les trois ont en tout cas en ligne de mire l »équilibre budgétaire à une échéance inférieure à 5 ans.
Un effort colossal, surtout en regard des 30 années écoulées. Sur les impôts, les options sont relativement claires (quoique …). Mais quand on les interroge sur la réduction (ou la stabilisation) des dépenses publiques, c’est une autre affaire. Soit on obtient des déclarations suffisamment vagues pour ne pas être engageantes (« arrêter les gaspillages ») soit des mesurettes (délivrer les médicaments par unité et non plus par boîte pour éviter les pertes).
Eh oui, taper dans la dépense, c’est prendre le risque de sa fâcher avec des électeurs potentiels. Pour envisager des pistes, il est bien utile de consulter la dernière livraison de la Cour des Comptes (rapport 2012).
Les médias ont trop souvent eu tendance à considérer ces rapports comme un « Combien ça coûte » sauce Pernaut, fourmillant de routes menant nulle part ou autres dépenses ineptes. Cette vision poujado ne rend pas grâce au travail de l’Institution qui progresse et s’étoffe d’année en année, si bien que j’en recommande la lecture (certes, ça ne se lit pas comme un roman mais c’est très accessible).
Evidemment, la Cour des Comptes ne doit pas être l’alpha et l’omega des politiques publiques. Il s’agit d’un organe de contrôle et les conseillers ne sont pas les payeurs. N’empêche, prenons le rapport 2012 et trois exemples qui « fâchent »:
Les intermittents du spectacle
Mais où sont-ils passés? Depuis leurs dernières actions, ils ont un peu disparu du paysage. Mais pas du rapport de la Cour des Comptes. Le régime de l’Unedic, l’assurance-chômage, part à la dérive. 2,5 Mds€ de déficit en 2011 et plus de 11 Mds€ de déficit cumulé.
La faute à la crise et à la hausse du chômage? Bien sûr! Mais, en 2010, les intermittents ont représenté 1/3 du déficit du régime pour… 3% des demandeurs d’emploi. Ce n’est pas rien. Surtout, le déficit lié aux intermittents du spectacle a représenté 1 Mds€ de perte chaque année sur la décennie 2000-2010. Si bien qu’à fin 2010, le déficit cumulé du régime (9,1 Mds€) est quasi entièrement dû aux intermittents.
270.000 personnes ont accumulé 9 Mds€ de déficit alors que plus de 20 millions d’actifs salariés étaient à l’équilibre. En 2010, les intermittents ont cotisé 232 M€ pour recevoir 1.263 M€ de prestations. En gros, pour 1€ versé, 6€ de reçus !
Le régime des intermittents date des années 30, pour prendre en compte le caractère discontinu de leur travail. Mais les modalités de calcul sont aujourd’hui très favorables, et notamment bien plus que celles des intérimaires qui sont également soumis à des aléas forts.
Pour donner une idée de l’aléa, au 31/12/2010, 31% des intermittents étaient au chômage. Surtout, le nombre d’intermittents est en progression constante
On ne peut pas dire que les intermittents se « gavent », mais leur niveau de vie n’est pas si mauvais. 80% d’entre eux avaient en 2010 des revenus nets supérieurs à 18.110€. C’est le cas pour seulement 50% des Francais.
D’où viennent les problèmes? De la fraude d’une part, contre laquelle Pôle Emploi lutte ardemment avec une cellule de… 21 personnes. Du fait qu’un bon nombre d’employeurs (estimé à 15% – dont le service public de l’audiovisuel) utilise le statut de l’intermittence pour baisser ses charges.
Enfin, au fond, le statut de l’intermittence est une aide de l’Etat au monde de la culture. Mais qui est très elévée quand on la compare aux 263 M€ alloués par le Ministère de la Culture pour la promotion du livre et de la lecture.
Le vrai problème de l’intermittence, c’est que, contrairement au budget de la culture, il n’y a pas de programmation. N’importe qui peut adopter ce statut sans qu’il y ait de contrôle ou de numerus clausus.
Certes, permettre d’accéder au statut d’artiste sur concours ne semble pas la panacée mais entre cela et l’ »open bar » actuel, il doit bien y avoir un entre deux? Un des candidats a-t-il une réponse ?
La gestion de la fonction publique
La RGPP (Révision Générale des Politique Publiques) a permis d’économiser des queues de cerise et a apporté de la désorganisation. La règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux est trop rigide et pas assez ciblée. Et pourtant, il y a des économies à faire.
Prenez le système de retraite de la Fonction Publique en Nouvelle-Calédonie. C’est évidemment une goutte d’eau: 7 personnes gèrent les retraites de 8.575 fonctionnaires en postes et de 3.700 retraités. Mais, malgré sa petite taille, le régime a perdu 140 M en 12 ans.
Certes, le déficit de 23 M€/an en 2006 a été réduit à 3 M€ en 2009. D’où vient ce déficit? Le nombre de cotisants pour un retraité est passé de 4,7 à la création du régime à 2,4 aujourd’hui. Comme en métropole, me direz-vous! Un peu plus quand même car le régime est sacrément avantageux. La République étant Une et Individible, les fonctionnaires néo-calédoniens devraient partir à 60 ans à la retraite.
Et pourtant, en 2010, ils ont soldé leurs droits à 54,7 ans. C’est que, par le jeu des bonifications, ils peuvent en fait partir à 50 ans après seulement 30 (voire 24) ans de cotisations. La vie est belle sous les cocotiers!
En parlant de la retraite des fonctionnaires, cette-fois ceux de l’Etat et de la métropole, la Cour des Comptes avait pointé une inefficacité dans leur gestion. Notamment car chaque ministère gérait ses propres pensionnés avant que ne cela soit transmis à un organisme central (la DGFIP) puis à des centres payeurs.
En 2007, la Cour avait proposé une rationalisation des services qui permettait à la fois de rendre un meilleur service aux usagers (les fonctionnaires) via un Compte Individuel de Retraite (CIR) et d’accroître fortement la productivité (et donc de réduire des postes). Améliorer le service public avec moins de postes? Beurre et argent du beurre.
Sauf sauf… que si la mise en oeuvre du CIR avance (et donc le service rendu s’améliore) malgré des retards, les gains de productivité sont bien moindres que prévus. Car les ministères qui auraient dû supprimer leurs services de gestion des retraites au profit d’un organisme centralisé ne le font pas.
Ainsi, en 2007, 2.800 agents étaient chargés du calcul des pensions. La réforme devait permettre de supprimer 1.200 postes d’ici 2011. En 2010, il n’y avait eu que 450 suppressions. El l’objectif a été revu à 750 en 2016 (contre 1.200 en 2011).
La Cour des Comptes ne donne pas (ou à demi mot) les raisons de l’inertie mais elles sont faciles à deviner: si les ministères ne lâchent pas la gestion des retraites, c’est pour acheter la paix sociale. Si on laisse les fonctionnaires néo-calédoniens profiter d’une retraite au bout de 30 ans, c’est pour la même raison.
Une régle « aveugle » du type « pas de remplacement d’un fonctionnaire sur deux » ne marche pas, ou mal. Et que certains disent que l’on est « à l’os » est vrai à certains endroits mais pas partout. Il faut des actions très ciblées, déterminées et qui passent outre les inerties et pesanteurs locales. Là encore, un candidat a-t-il une méthode?
Les niches
Ah les niches. Dès qu’un candidat est interrogé sur la réduction des dépenses, il parle des niches. Techniquement, c’est vrai puisque pour Bercy ce sont des « dépenses fiscales ». Dans la réalité, c’est plutôt une hausse des impôts. Bon, on ne peut pas en vouloir à nos chers candidats: tout le monde a fait le constat, moi le premier, que les niches fiscales constituent un empilement néfaste tant pour le rendement de la fiscalité que pour son équité. Et elles représentent des sommes colossales.
Le problème, c’est comment s’y attaquer? D’abord, chaque niche ou presque a des effets induits, positifs ou négatifs. La suppression est rarement neutre. Le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO), rattaché à la Cour des Comptes, avait fait une évaluation des niches, ce qui pourrait guider les gouvernants.
Mais le vrai problème est politique. Chaque niche bénéficie à un groupe de personnes, une catégorie voire un lobby plus ou moins organisé. Et la suppression de quasiment chaque niche provoque inévitablement au minimum une grogne, au pire des manifestations. Et il y en a près de 700… Il y a alors 2 méthodes: celle du coup de rabot, adopté par Nicolas Sarkozy et son gouvernement.
Avantage? Mécontenter un peu tout le monde mais frontalement personne. Inconvénient? On rabote seulement un peu les mauvaises niches et on rabote aussi les bonnes. L’autre serait de s’attaquer aux mauvaises niches. Voici un exemple:
La loi Girardin est une niche fiscale censée aider l’investissement productif ou immobilier de logement en outre-mer. Cela est possible pour un particulier comme pour une entreprise.
Le dispositif sur l’investissement produtif pour les particuliers a coûté à l’Etat (en manque à gagner) 640 M€ en 2008 et a bénéficé à 18.000 contribuables (soit 40 k€ de réduction d’impôt pour chacun!).
Au total, les dispositifs Girardin ont coûté à l’Etat 680 M€ en 2005, 1.090 M€ en 2009 et devraient en coûter 1.380 M€ en 2012. Le rendement est par ailleurs très faible. En 2009, pour aider, à hauteur de 420 M€, 1.4 Mds€ d’investissements productifs outre-mer, l’Etat a du renoncer à 700 M€ de recettes (700 – 420 = 280 M€ dans la poche des contribuables).
Par ailleurs, la Cour des Comptes note que cette niche est très exposée à la fraude. Enfin, l’effet induit est difficilement mesurable et relativement faible (voire pervers). Par exemple, le coût d’un emploi créé par cette niche est estimé à 730.000€ en 2009.
Là encore, pour ce troisième exemple comme pour les deux autres, quelle serait la position des candidats? Rogner sur les niches, d’accord. Mais lesquelles? Rabot ou sélectif? Malheureusement, en terme de réduction des dépenses de l’Etat (ou de hausse des impôts via la baisse des niches), l’opacité aura été de mise pendant toute la campagne.
http://resultat-exploitations.blogs.liberation.fr/finances/2012/04/où-couper-dans-les-dépenses-suivez-la-cours-des-comptes-.html