Comprendre la dette
D’où vient-elle ? Quelles en sont les causes ? Nos concitoyens se posent actuellement ces questions, sans forcément trouver de réponses dans le discours politique actuel. Limitons-nous au cas des nations démocratiques et industrialisés.
D’autres pays se sont en effet surendettés, jadis et naguère, pour d’autres raisons : dépenses de prestige, systèmes fiscaux défaillants, comme en Grèce, clientélisme de type méditerranéen, erreurs de politique économique, absence de contrôle des finances publiques autorisanr toutes les dérives.
Notre cas est différent. Le mécanisme de notre endettement est essentiellement politique. Quand on interroge les citoyens sur l’origine de la dette, ils répondent : gaspillage de l’argent public, mauvaise gestion, voire corruption, enrichissement illicite des dirigeants.
Or, en réalité, la dette est l’addition de toutes les décisions prises par nos gouvernements et Parlements en réponse aux exigences de diverses corporations.
Aujourd’hui, l’occupant de la place Beauvau n’est plus ministre de l’intérieur mais ministre des policiers, celui de la rue de Grenelle, ministre des enseignants, celui de l’agriculture est en réalité le ministre des agriculteurs, celui de la santé le ministre des médecins et infirmiers.
Chacune des multiples corporations dont se compose la société française a, pour la représenter, au moins un syndicat, un ordre ou un groupe de pression bien organisé. Quand ceux-ci n’obtiennent pas les résultats souhaités par leur base, cette dernière affronte directement, voire violemment, l’Etat.
C’est notamment le cas des agriculteurs, des routiers, des marins pêcheurs. On voit s’afficher, à la une des journaux, le butin ainsi acquis: un milliard ou deux, voire davantage. Les classes aisées, quant à elles, comptent sur leurs représentants politiques, ceux qui le plus souvent nous gouvernent, pour alléger leurs impôts, garantissant la transmission des rentes et patrimoines et leur accroissement: fiscalité de l’assurance-vie, loi Sellier, imposition forfaitaire du revenu des valeurs mobilières, etc. Le résultat est identique: gagnant moins, l’Etat s’endette pour faire face à ses obligations.
Ce fonctionnement pervers des institutions démocratiques est rendu possible par la désacralisation du fait politique et la perte de prestige et d’autorité des dirigeants, résultant moins des idées anti-autoritaires de mai 68 que de l’affaiblissement, depuis l’implosion du bloc soviétique, des idéologies politiques altruistes du passé et leur remplacement, après Margaret Thatcher et Ronald Reagan par la vulgate néolibérale: privatisation des entreprises et services publics, dérèglementation de la finance, etc.
Les gouvernements occidentaux, qui ont presque tous adopté ce nouveau credo ont ainsi créé les conditions de leur propre impuissance à faire face aux conséquences sociales négatives de la mondialisation, dont les retombées positives (baisses de prix, développement économique de pays jadis pauvres) ne sont, quant à elles, ni perçues, ni, a fortiori, débattues chez nous.
Depuis le premier choc pétrolier, en 1973, la France, on le sait, n’équilibre plus son budget. La dette actuelle, supérieure à 80% du PNB, résulte de l’empilement des déficits annuels, proposés par les gouvernements, maquillés par Bercy et admis par le Parlement. Le paiement des intérêts de cette dette est devenu le premier poste de dépenses du budget de l’Etat ; il est égal au produit de l’impôt sur le revenu.
A la répartition des fruits de la croissance pendant les « trente glorieuses » (1944-1973) a succédé la répartition des fruits de l’endettement, politiques et technocrates s’accordant pour prévoir des taux de croissance toujours démentis par l’expérience. Une part de la croissance anémique de ces dernières années ne s’explique d’ailleurs que par l’injection dans l’économie des emprunts contractés par l’Etat sur les marchés financiers.
Cessons donc de nous voiler la face : cette dette est la nôtre et c’est en retrouvant la force d’incarner l’intérêt général que le gouvernement de François Hollande pourra la juguler.
Jacques Gérard, ancien ambassadeur, ancien chef de mission de Coopération
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/05/04/comprendre-la-dette_1695876_3232.html