Honeywell : délocalisation déguisée
Un document que s’est procuré «Libération» révèle que l’arrêt de l’usine de Condé-sur-Noireau aurait été décidé pour transférer la fabrique de plaquettes de freins en Roumanie.
Les mois passent, mais la mobilisation des salariés de l’usine Honeywell de Condé-sur-Noireau, dans le Calvados, ne faiblit pas. Depuis bientôt deux ans, ils se battent contre la fermeture du site prévue pour juin 2013. Et ils en appellent aujourd’hui à Arnaud Montebourg, le nouveau ministre du Redressement productif, qui était venu les soutenir pendant la campagne présidentielle.
Or, voilà qu’un document confidentiel, découvert sur l’intranet du groupe américain et que Libération s’est procuré, conforte leur conviction : la fin de leur usine de plaquettes de freins, qui emploie 323 personnes, serait directement liée à la construction d’une nouvelle implantation en Roumanie où l’activité serait transférée… ce dont s’est toujours défendue la direction.
Mais la note en anglais, sobrement intitulée «Projet Condé», semble confirmer les soupçons des syndicats. Le texte énumère les objectifs et évoque la stratégie de la société. Il y est notamment question de «réduire l’empreinte» du groupe en Europe occidentale, «conjointement» avec le projet d’usine en Roumanie.
Et d’«accroître sa compétitivité» sur le marché des matériaux de frictions (les plaquettes de freins fabriquées notamment à Condé) en «transférant la production» dans une «RE» (région émergente).
Le document évoque également pour la fermeture de l’usine de Condé, une «opportunité unique» créée par le contexte économique du secteur automobile et l’augmentation des coûts de production. Autant de mentions qui apparaissent comme une volonté explicite de délocalisation…
Nullité. Une notion que réfute catégoriquement le directeur des relations sociales du site, François Serizay. «Il n’y a ni transfert d’équipements ni transfert de technologies, observe-t-il. Il s’agit de deux projets menés en parallèle mais distincts. Même si le projet roumain n’existait pas, nous aurions été amenés à revoir l’avenir du site de Condé.»
Selon François Serizay, la stratégie du groupe découle d’abord d’un état de fait : les pertes «récurrentes et accentuées» depuis cinq ans de la division «matériaux de friction» (trois sites en Europe), évaluées à 150 millions de dollars (119 millions d’euros).
«A partir de ce constat, nous avons adopté une stratégie sur deux axes, précise-t-il. E xploiter les marchés en développement, nous rapprocher des clients potentiels et diminuer les foyers de pertes.» Les produits fabriqués à Condé-sur-Noireau seraient également «en fin de vie», explique la direction, faisant appel à des technologies obsolètes alors que l’usine roumaine aura pour tâche de «développer de nouveaux produits, pour de nouveaux clients avec des technologies nouvelles».
Les représentants des salariés, qui dénoncent depuis octobre 2011 des «licenciements boursiers», ont une interprétation différente. Et le comité d’entreprise a décidé de porter l’affaire en justice afin d’obtenir la nullité du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), invoquant l’absence de loyauté et de sincérité du groupe Honeywell.
«Nous y réfléchissions depuis longtemps, car depuis l’annonce de la fermeture et malgré toutes les démarches et les propositions des élus, du préfet, Honeywell n’a rien voulu entendre, précise un représentant du personnel. La découverte du document intranet a été la goutte de trop. On ne peut pas accepter la fermeture du site dans le cadre d’une délocalisation.»
«Scandaleuse». Depuis l’annonce de la fermeture, le 19 octobre 2011 – alors qu’était dévoilé le même jour le projet de nouvelle usine en Roumanie -, la direction semble jouer la montre. Aucune alternative n’était «réaliste et crédible», se défend François Serizay.
Les salariés accusent le groupe américain de n’avoir rien fait pour moderniser le site, malgré des moyens importants (plus de 2 milliards de dollars de bénéfices en 2011). Selon les responsables syndicaux, la firme aurait au contraire cessé tout investissement à Condé-sur-Noireau pour aggraver ses pertes et justifier ensuite une fermeture…
Les salariés ont une autre raison de juger «scandaleuse» une telle décision. Comme dans d’autres usines à Condé-sur-Noireau, grosse bourgade spécialisée dans la sous-traitance automobile, l’amiante, qui était un des principaux composants des plaquettes de freins jusqu’en 1997, a été très présente sur le site Honeywell. Et les salariés et leurs familles redoutent qu’aux licenciements ne s’ajoutent des problèmes de santé.
Pour l’heure, une nouvelle action en justice va être engagée en référé par le CE de l’usine Honeywell. Son but : obtenir de la direction les documents que réclame depuis plusieurs mois le cabinet d’analyse Syndex mandaté pour produire sa propre expertise sur l’état et les options stratégiques de l’entreprise. Documents qui pourraient, selon les syndicats, mettre en évidence une décision de fermeture prise bien avant son annonce officielle.
http://www.liberation.fr/economie/2012/05/28/honeywell-delocalisation-deguisee_822000