Entreprises publiques : le salaire pas plafonné pour tout le monde
Le gouvernement a tenu la promesse de Hollande qui voulait imposer aux dirigeants des entreprises publiques un écart maximal de rémunérations de 1 à 20. Mais, comme souvent, le diable est dans les détails.
Pierre Moscovici a expliqué ce mercredi après le conseil des ministres la décision du gouvernement sur la rémunération des chefs d’entreprises des entreprises publiques.
C’était la mesure n°26 des 60 engagements pris par le candidat François Hollande : « J’imposerai aux dirigeants des entreprises publiques un écart maximal de rémunérations de 1 à 20″.
Elle s’est traduite par un décret présenté par le ministre de l’Economie Pierre Moscovici ce mercredi 13 juin, qui a fixé le salaire maximum des mandataires sociaux d’entreprises publiques à 450.000 euros annuels.
A priori, donc, promesse tenue. Pourtant, certains pourraient argumenter qu’elle n’est pas respectée à la lettre. Car autant la rédaction de la mesure était simple, autant l’application du décret se révèle complexe. Le diable, évidemment, se cache dans les détails.
Seuls les mandataires sociaux ne sont concernés
« J’imposerai aux dirigeants… » dit le début de la phrase. Telle que rédigée, et pour être conforme à son souci d’équité, on en déduisait qu’il s’agissait de couper toutes les têtes qui dépassent ce fameux rapport de 1 à 20.
Les PDG bien sûr, mais aussi, s’ils se trouvent aussi bien voire mieux payés, les membres de leur état-major, les directeurs de branches ou de régions, les patrons de filiales, etc. Sauf qu’il est vite apparu que ça créerait un pataquès juridique. Car seuls les mandataires sociaux – c’est à dire le plus souvent les PDG, et parfois, leur n°2- n’ont pas de contrat de travail.
Les autres dirigeants, eux, sont salariés et donc de ce fait dotés d’un contrat de travail. Or, explique Sabine Mougenot, avocate spécialisée en droit du travail, « la modification unilatérale des contrats de travail ne peut se faire sans l’acceptation du salarié. Sinon, cela s’assimile à un licenciement, ouvrant droit à indemnités. » C’est sûr que cela aurait fait désordre.
Du coup, seul le patron est obligé de passer sous la toise, les autres sont tranquilles… Le bémol est de taille car, dans certaines entreprises, comme à EDF par exemple, plusieurs dizaines de top managers dépassent le seuil fatidique.
Et pour les cadres dirigeants nouvellement embauchés ?
Mais, est ce que, au moins, pour les nouvelles embauches de super-cadres, le salaire maximum proposé ne pourra pas dépasser les 450.000 euros ? « L’Etat n’interviendra pas dans la politique salariale des entreprises » répond Moscovici.
Cependant, les PDG seront « invités » à appliquer des « mesures de modération salariale similaires » pour leurs collaborateurs… et le salaire de chacun devra être approuvé par le ministre de l’Economie, « en tenant compte des spécificités de chaque entreprise afin de garder une hiérarchie, d’éviter que ces rémunérations ne convergent toutes vers le plafond « .
« …des entreprises publiques… » dit le milieu de la phrase. C’est-à-dire lesquelles ? « L’Etat imposera ce principe dans les entreprises où il détient plus de 50% du capital » a expliqué Moscovici. Soit une cinquantaine de boîtes auxquelles s’ajoutent une vingtaine de leurs filiales les plus importantes (ce qui n’est pas sans incidence :
à la SNCF par exemple, les patrons des filiales Keolis et Geodis sont mieux payés que Guillaume Pepy). En tête de liste : EDF, Areva, La Poste, ADP, la SNCF, la RATP, la Française des Jeux. La Caisse des dépôts, avec ses filiales, est aussi dans le viseur.
Les administrateurs représentant l’Etat priés de faire valoir leur vue
« La même règle sera proposée par l’Etat partout où il est actionnaire » a poursuivi Moscovici. Les administrateurs représentant l’Etat chez GDF Suez (37% appartenant à l’Etat), Safran (32%), Thales (27%), France Télécom (27%), Air France (15,5%), Renault (15%), EADS (15%), auront donc pour mission de faire valoir leurs vues sur l’échelle des rémunérations pour convaincre le conseil d’administration.
Ce n’est pas forcément gagné si l’on se souvient des difficultés passées de l’Etat à se faire entendre dans la saga des retraites chapeaux et parachutes dorés des dirigeants de Dexia (qu’il détient à 23,5%), plus grosse faillite bancaire française.
Mais Pierre Moscovici s’assure confiant : « cette exemplarité dans le public va provoquer un assainissement sur la question des rémunérations dans le privé ». De fait, dernièrement, le ministre peut se targuer d’avoir réussi à entraîner, en Assemblée générale, une majorité d’actionnaires dans son refus d’accorder une clause de non concurrence de 400.000 euros à Pierre-Henri Gourgeon, en partance d’Air France, et un parachute doré de 3 millions à Jean-Paul Herteman, PDG de Safran. « Quand l’Etat se prononce de manière ferme et forte, il peut emporter la décision ».
Un plafond qui comprend tous les éléments de la rémunération
« …un écart maximal de rémunérations de 1 à 20″ : dit la fin de la phrase. C’est là que l’interprétation du dogme peut être plus ou moins stricte. Le gouvernement a choisi d’être plutôt sévère, par le haut, sur le périmètre de la rémunération puisqu’il comprend à peu près tout : salaire brut, part variable, épargne salariale et jetons de présence.
Et une loi est déjà prévue à l’automne pour encadrer plus rigoureusement, dans le public comme dans le privé, tous les éléments de rémunération différée : stock-options, actions gratuites, clauses de non concurrence, parachutes dorés, retraites chapeaux…
En revanche, le décret est plutôt généreux, par le bas, sur le calcul des plus petits salaires, et donc de l’écart. Plutôt que de débusquer Le plus bas salaire dans chaque société (qui a forcément une femme de ménage ou un veilleur de nuit au Smic quelque part), Bercy a choisi de prendre pour base la moyenne des 10 % des plus bas salaires dans l’ensemble des quatorze principales entreprises publiques « pour éviter que les disparités de structures salariales faussent le calcul ».
Du coup, à l’issue de ce calcul, est sorti de la boîte noire le chiffre d’un maximum de 450.000 euros… soit 28 fois le Smic. Un montant que Moscovici juge le montant maximal « pas du tout dissuasif, juste décent ».
Proglio va diviser son salaire par trois
En tout cas, l’effet de ciseau est, pour certains, sévère. Le salaire de Henri Proglio (EDF), qui émarge à 1,6 million, sera divisé par plus de trois ! Luc Oursel, chez Areva (679000 euros), Jean-Paul Bailly à La Poste (636000 euros) et Philippe Wahl à la Banque postale (830.000 euros), Pierre Graff chez ADP (553.000 euros) vont aussi devoir se serrer la ceinture dès… 2013 car, pour cette année, les rémunérations ont déjà été entérinées en conseil d’administration.
http://www.challenges.fr/economie/20120613.CHA7434/entreprises-publiques-le-salaire-pas-plafonne-pour-tout-le-monde.html