Le niveau de vie recule en France… sauf pour les plus aisés
Une enquête édifiante de l’Insee montre la progression des inégalités entre Français. Il y avait, en 2010, 8,6 millions de pauvres dans notre pays, dont 2,7 millions d’enfants.
S’il ne faut retenir qu’un chiffre de l’enquête édifiante de l’Insee publié vendredi 7 septembre, c’est celui-ci: 19.270 euros. Soit le niveau de vie* médian d’un Français en 2010, quel qu’il soit (salarié, indépendant, chômeur, retraité, inactif, enfant…). En clair, il y a deux ans, la moitié de la population avait un revenu disponible inférieur à 1.610 euros par mois, quand l’autre moitié dépassait cette barre. Pour la première fois depuis 2004, on constate un recul sur un an de 0,5%, en tenant compte de l’inflation.
Autrement dit, le niveau de vie des Français a baissé de 2009 à 2010. Toutefois, derrière ce constat déprimant, les situations sont très différentes selon les catégories de population, comme le montre sans équivoque le graphique ci-dessous.
Dans le langage Insee, les déciles D1 à D9 sont des seuils de niveau de vie qui partagent la population française en dix sous-populations d’effectifs égaux: sous D1 se retrouvent ainsi les premiers 10% des Français sur l’échelle des niveaux de vie; sous D2 les premiers 20%; sous D3 les premiers 30% et ainsi de suite, jusqu’à D9, au-dessus duquel émargent les 10% de Français les plus aisés.
Le niveau de vie des plus riches augmente de 1,3%
Sur le graphique, on observe que la baisse du niveau de vie en 2010 a été la plus brutale pour les Français les moins privilégiés, représentés par les déciles D1 et D3. La diminution est beaucoup plus faible pour le décile D9, qui correspond à l’ensemble de la population du pays à l’exception des 10% les plus fortunés.
« La baisse est (…) plus forte dans le bas de la distribution (entre -1,3% et -1,6% pour les trois premiers déciles) que dans le haut (-0,3% pour le 9ème décile et une quasi-stabilité pour les trois précédents) », traduit l’Insee, relevant au passage que, pour la première fois depuis 2004, le niveau de vie des déciles dépassant le niveau médian (19.270 euros) baissent, comme les déciles inférieurs.
Les seuls à échapper à cette tendance générale sont les plus aisés. Le graphique s’intéresse aux 5% les plus favorisés, représentés par le vingtile C95. Ces foyers ont vu leur niveau de vie augmenter en 2010, de 1,3%, après une quasi-stagnation l’année précédente (+0,2%). Un résultat qui confirme une évolution ancienne: depuis 1996, le niveau de vie des 10% des personnes les plus favorisées a augmenté plus vite (+2,1%) que l’ensemble de la population (+1,4%).
Le dynamisme des hauts salaires et les bienfaits du patrimoine
Comment expliquer que que 90% de la population vit moins bien en 2010 que l’année précédente tandis que 10% vit mieux? « Les évolutions de salaires expliquent en partie la hausse des inégalités », répond l’Insee. Les hausses de rémunérations ont été beaucoup plus dynamiques pour les cadres que dans le bas de l’échelle, affectée par la faible revalorisation du Smic en 2010.
De plus, les revenus du patrimoine profitent à plein aux Français les plus aisés, pour qui ils représentent 26% du revenu disponible contre 7% dans le reste de la population. Or le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été plutôt favorable aux hauts patrimoines. Ce qui explique l’élévation du niveau de vie des plus riches. A cet égard on peut s’interroger, comme l’économiste Thomas Piketty sur Rue89, sur la volonté présumée de François Hollande de faire porter la fameuse taxe à 75% sur les revenus du travail des plus riches, et non sur leurs revenus du capital…
La hausse de la pauvreté touche surtout les enfants
Cette progression des inégalités –l’indice Gini qui la mesure est passé de 0,290 à 0,299– semble d’autant plus injuste qu’elle s’inscrit dans un contexte général de hausse de la pauvreté. Selon l’Insee, le nombre de personnes pauvres** est passé en 2010 à 8,6 millions, contre 8,2 en 2009. Soit 14,1% de la population française (+0,6 point sur un an). Le taux de pauvreté atteint ainsi son plus haut niveau depuis 1997. Et nul doute que la récession de la zone euro en 2012, et les plans sociaux qui s’enchaînent depuis quelques mois, n’ont pas contribué à arranger la situation. Aujourd’hui, la barre des 9 millions de pauvres est sans doute franchie.
L’Insee relève que la hausse de la pauvreté touche en premier lieu les retraités, les adultes inactifs qui ne sont ni étudiants ni retraités et, surtout, les enfants, qui contribuent à cet accroissement pour les deux tiers. Les moins de 18 ans pauvres étaient 2,4 millions en 2009. Un an plus tard, ils sont 2,7 millions.
Pour l’Insee, l’explication principale de ce phénomène tient à ce que les revenus d’activité des adultes sont en moyenne plus faibles dans les familles nombreuses. Ce qui réduit le budget pour chaque enfant. Mais des décisions politiques ont également eu un effet dévastateur: en 2010 n’ont été reconduites ni la prime de 150 euros aux bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire ni la « prime de solidarité active » aux bénéficiaires du revenu minimum d’insertion, qui avaient toutes deux versées en 2009. Enfin, cette année-là, les prestations familiales n’ont pas été revalorisées.
*Le niveau de vie est un indicateur individuel, calculé par l’Insee en divisant le revenu disponible du ménage par le nombre de personnes qui le composent (unités de consommation). Le revenu disponible est la somme des revenus du ménage (salaires, indemnités, prestations sociales, pensions, revenus financiers…), retranchés des impôts qu’il a à payer (impôt sur le revenu, CSG, CRDS, taxe d’habitation…)
**Par convention, une personne est considérée comme pauvre quand son niveau de vie n’atteint pas 60% du niveau de vie médian, soit 964 euros en 2010.
L’intégralité de l’enquête de l’Insee est disponible sur son site internet.
http://www.challenges.fr/economie/20120907.CHA0561/en-france-la-pauvrete-augmente-et-le-niveau-de-vie-recule-sauf-pour-les-plus-aises-insee.html