Impôts, niveau de vie, patrimoine : la vérité sur les « privilèges » des retraités
A l’heure où le gouvernement de Jean-Marc Ayrault instaure une taxe sur les revenus des retraités au nom de l’équité entre les générations, le débat est ouvert : les séniors sont-ils vraiment favorisés par rapport aux actifs ?
En France, les 16 millions de retraités sont-ils mieux lotis que les actifs ? En sourdine jusqu’à présent, la polémique vient d’éclater au grand jour avec l’instauration, le 1er avril prochain, d’une nouvelle taxe qui pèsera sur les seniors. Les pensions seront soumises à un prélèvement de 0,3 %, qui contribuera à financer les aides aux personnes âgées dépendantes. La ponction sera faible, argumente le gouvernement.
Pour une pension de 1.200 euros, les retraités verseront moins de 4 euros par mois. Et plus de la moitié des seniors, ceux dont le niveau de revenus les exonère de l’impôt, ne paieront rien. C’est aussi une mesure d’équité, poursuit l’exécutif.
Car, depuis la canicule de 2003, les salariés travaillent une journée de plus pour financer la dépendance, les employeurs s’acquittant en contrepartie d’une taxe de 0,3 %.
Le gouvernement a beau se justifier, les protestations fusent. A l’UMP, bien sûr -en cinq ans, Nicolas Sarkozy n’a jamais « touché » aux retraités, relève la droite. Mais aussi au Front de gauche et même à la CFDT, un syndicat pourtant proche du pouvoir.
Le débat est désormais ouvert. Les retraités sont-ils dans une situation plus avantageuse que les actifs, qui justifie qu’on les taxe pour contribuer au redressement des comptes publics ? Impossible de répondre par « oui » ou par « non ». Les chiffres sont interprétés, les experts divisés. Tentons néanmoins d’y voir plus clair. Revenus, patrimoine, impôts, prestations sociales : qui gagne le « match » retraités-actifs ?
Niveau de vie : un match serré…
1. Si on analyse les revenus, les retraités sont à peu près aussi bien lotis que les actifs. Leur niveau de vie médian était de 19.100 euros par personne et par an en 2010, selon l’Insee (la moitié gagne moins, l’autre moitié gagne plus). Un niveau proche de celui des actifs, qu’ils soient salariés (21.500 euros) ou indépendants (22.300 euros). Si l’on raisonne par famille, on arrive à la même conclusion : les individus appartenant à un ménage dont la personne de référence a moins de 65 ans vivent avec 22.500 euros par an en moyenne, presque autant que ceux qui vivent dans un foyer dont la personne de référence a plus de 65 ans (23.960 euros).
« Au total, le revenu des retraités est de l’ordre de 95 % de celui des actifs. C’est satisfaisant, et pas scandaleux, ni dans un sens, ni dans l’autre », estime Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE. « La situation des personnes âgées françaises est meilleure que celle de leurs homologues étrangers. Et de 1996 à 2008, leur niveau de vie rapporté à celui des autres ménages s’est amélioré, de plus de 5 %, alors qu’il a diminué dans la plupart des pays européens », relève Bertrand Fragonard, spécialiste de la protection sociale et président délégué du Haut Conseil de la famille.
Au-delà des seuls revenus, le Cepremap a tenté de mesurer le « bien-être » des seniors. Avec un indicateur tenant compte du taux de pauvreté, du revenu des retraités comparé à l’ensemble de la population, des inégalités, enfin de l’espérance de vie.
Résultat, les retraités français jouissent de la situation la plus favorable d’Europe, ex aequo avec les Pays-Bas, le Luxembourg ou la Hongrie. Et loin devant l’Allemagne, qui n’arrive qu’au 19e rang.
L’évolution des revenus des seniors, en revanche, est moins avantageuse que celle des actifs. Alors que les salaires progressent en moyenne de près de 3 % par an, les pensions des retraités, qui constituent plus de 70 % de leurs revenus, ne sont revalorisées qu’au rythme de l’inflation. Contrairement aux salariés, ils peuvent donc perdre du pouvoir d’achat certaines années. C’est ce qui est arrivé en 2010. Cette année-là, le niveau de vie des seniors a légèrement reculé, la faible revalorisation de leurs pensions ne suffisant pas à compenser la chute du rendement de leurs placements financiers.
… qui pourrait tourner à l’avantage des actifs
2. Cette belle égalité de niveau de vie entre actifs et retraités, on la doit au système de retraites français, longtemps très généreux. Cela pourrait ne pas durer, les réformes successives commençant à produire leurs effets. Le changement du mode de calcul des pensions, prévu par les réformes de 1993 et 2003, a réduit, relativement, le montant des pensions. Elles sont désormais calculées sur la base des 25 meilleures années de revenus, au lieu de 10, et sont indexées sur l’inflation.
Au total, la baisse est comprise entre 10 % et 18 % selon les générations, montre une étude de la sociologue et statisticienne Emmanuelle Crenner. « Ce recul est masqué, pour l’instant, par un effet de génération, les nouveaux retraités ayant eu des revenus plus élevés que leurs aînés », souligne l’économiste Antoine Rémond.
Une conséquence des Trente Glorieuses, combinée à une montée en flèche de l’activité féminine, qui se vérifie dans les statistiques. Les jeunes retraités (55-64 ans) gagnent 17 % de plus que les 65-74 ans, qui eux-mêmes ont des revenus supérieurs de 23 % aux plus de 75 ans.
Moins d’inégalités chez les seniors
3. Le système de retraite français joue un rôle redistributif important, en corrigeant les aléas de carrière. Prise en charge des cotisations des chômeurs ou des parents au foyer, minima de pension… Ces mécanismes réduisent les inégalités de revenus entre les retraités. Elles sont nettement moins élevées que dans la population active.
Le rapport entre les salaires perçus par les 10 % les mieux payés et les 10 % les moins bien payés atteint 5,8. Ce ratio n’est plus que de 4,1 entre les 10 % de pensions les plus élevées et les 10 % les plus faibles, à montré l’Insee.
A peine 10 % des seniors sont considérés comme pauvres, alors que 14 % de l’ensemble de la population se situent en-dessous du seuil de pauvreté. Le nombre d’allocataires du minimum vieillesse n’a cessé de reculer depuis les années 1970.
Patrimoine : avantage retraités
4. C’est incontestable, les retraités jouissent d’un patrimoine bien plus élevé que les actifs. Un quart des sexagénaires sont détenteurs d’un portefeuille d’actions, contre 20 % des « quadras » et 17 % des trentenaires. Surtout, plus de 75 % des retraités sont propriétaires d’un appartement ou d’une maison, contre 63 % des 40-49 ans et la moitié seulement des 30-39 ans.
Sur ce plan, l’écart entre actifs et retraités est encore plus criant au regard des catégories socioprofessionnelles. Seuls 43 % des employés actifs sont propriétaires, quel que soit leur âge, et 31 % des ouvriers non qualifiés.
Les produits du patrimoine constituent, logiquement, une plus grande part des ressources des seniors. Les personnes de plus de 65 ans tirent 19 % de leurs revenus de leurs loyers, dividendes et autres intérêts de livrets. C’est trois fois plus que les 35-45 ans, six fois plus que les 25-35 ans. Attention, relativise Henri Sterdyniak, il s’agit d’une moyenne : « Les revenus financiers des grandes familles riches se concentrent chez les personnes âgées. » Les Bettencourt, Wendel, Mulliez et autres tirent la moyenne vers le haut.
Prestations sociales : ex aequo
5. Qui bénéficie le plus de l’Etat providence ? Difficile de départager les actifs et les retraités (si l’on exclut, bien sûr, les pensions). Les premiers bénéficient plus massivement des prestations familiales et des aides au logement.
Ces allocations représentent plus de 6 % des revenus des 25-45 ans, contre moins de 1 % de ceux des plus de 65 ans. Les retraités sont, en revanche, de gros consommateurs de soins. Ils concentrent la moitié des dépenses d’assurance-maladie, alors qu’ils ne représentent qu’un cinquième de la population.
« Ce chiffre ne fait que traduire le fait que les seniors sont plus malades », souligne Bertrand Fragonard. Massivement frappées par le diabète ou l’hypertension, les personnes âgées bénéficient plus que les autres du régime des affections de longue durée, qui ouvre droit au remboursement à 100 % par la Sécurité sociale des soins liés à leur pathologie.
La dépense de santé qui reste à leur charge est néanmoins plus élevée que celle des actifs, car ils souffrent souvent de plusieurs maladies. Et les retraités doivent débourser plus d’argent pour se payer une mutuelle, qu’ils aient conservé leur contrat d’entreprise -ils ont alors perdu la contribution de l’employeur -ou qu’ils soient couverts par un contrat individuel.
Impôts et cotisations : avantage retraités
6. C’est sur la question fiscale que le débat est le plus vif. En septembre, la Cour des comptes a porté un diagnostic très dur pour les retraités : les avantages fiscaux et sociaux dont ils bénéficient coûtent tous les ans plus de 12 milliards d’euros aux finances publiques. Comme les actifs, les retraités profitent d’un abattement de 10 % pour l’impôt sur le revenu.
Le coût de cette niche (3 milliards de manque à gagner pour le budget de l’Etat) en fait l’une des principales cibles de la Cour. Car les actifs bénéficient de cet abattement au titre de leurs frais professionnels. Frais de transport, vêtements appropriés pour le travail…
« Les retraités n’ont plus à supporter de dépenses de ce type », observent les magistrats de la Rue Cambon. « Cet abattement ne correspond pas à la réalité des frais professionnels pour les actifs, c’est en réalité une niche fiscale de portée générale. Il n’est donc pas scandaleux qu’elle s’applique aussi aux retraités », rétorque Henri Sterdyniak.
La deuxième grosse niche dont bénéficient les retraités concerne la contribution sociale généralisée (CSG). Alors que les actifs s’acquittent d’un prélèvement de 7,5 % sur leur salaire, les seniors bénéficient de trois taux réduits : 6,6 % pour ceux qui sont imposables, 3,8 % pour les revenus intermédiaires et zéro pour la moitié d’entre eux, ceux qui ne paient ni impôt sur le revenu ni taxe d’habitation.
Le manque à gagner pour les caisses de la Sécurité sociale atteint 6 milliards d’euros. Et ce n’est pas tout. Les majorations de pension des personnes qui ont élevé au moins trois enfants sont exonérées d’impôt, les personnes âgées aux revenus modestes ont droit à un abattement supplémentaire, certaines sont exemptées de taxe d’habitation… La Cour demande au gouvernement de réexaminer l’ensemble de ces dispositifs.
Henri Sterdyniak n’est pas d’accord : les retraités ne profitent pas plus des niches que les actifs, assure-t-il. L’économiste de l’OFCE a sorti sa calculette : en moyenne, les salariés bénéficient de 1.600 euros d’avantages fiscaux et sociaux par ménage et par an, contre 1.375 euros pour les retraités.
Prime pour l’emploi pour les anciens chômeurs, allocations familiales non fiscalisées, avantages fiscaux sur l’épargne salariale, exonération de l’outil professionnel de l’impôt sur la fortune (ISF)… « Par définition, tous ces avantages ne bénéficient pas au retraités », souligne-t-il.
Vincent Collen
http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202389490239-impots-niveau-de-vie-patrimoine-la-verite-sur-les-privileges-des-retraites-511323.php