Si vous n’avez rien suivi de l’affaire Cahuzac
Un ministre, un divorce, un éventuel compte en Suisse, un ancien inspecteur des impôts mis au placard, l’enregistrement fortuit d’une conversation qui ressort après douze ans…
L’affaire Cahuzac, déclenchée par Mediapart voilà une semaine, a tous les ingrédients d’un grand feuilleton politico-judiciaire à la française. Mais, comme c’est souvent le cas avec ce genre imposé, il n’est pas toujours simple de comprendre de quoi on parle si l’on n’a pas suivi de près développements, rebondissements et révélations.
Petit résumé.
1/ De quoi est accusé Jérôme Cahuzac ?
Commençons par le commencement. Mardi 4 décembre, le site Mediapart publie un article de Fabrice Arfi, titré « le compte suisse du ministre du budget ». Le site assure que Jérôme Cahuzac a possédé « pendant de longues années et jusqu’en 2010″ un compte au sein de la banque suisse UBS, à Genève, qu’il n’a jamais déclaré au fisc. Ce compte aurait été vidé et l’argent qu’il contenait, placé dans une banque singapourienne.
Selon Mediapart, qui s’appuie notamment sur des déclarations d’un ancien inspecteur des impôts, le compte aurait permis de faire transiter de l’argent, qui aurait servi à M. Cahuzac pour l’achat d’un appartement de 210 m², « pour le prix de six millions et demi de francs, financé comptant, en début de carrière », écrit l’ex-agent du fisc dans un mémo cité par le site.
Mediapart précise que le compte a été clos lors d’un « discret déplacement » de M. Cahuzac à Genève, quelques jours avant qu’il ne devienne président de la commission des finances de l’Assemblée.
M. Cahuzac est, au civil, chirurgien esthétique et propriétaire d’une clinique parisienne spécialisée dans les microgreffes de cheveux, dont lui et son épouse sont spécialistes, et qui leur permet de vivre confortablement.
En 1993, Jérôme Cahuzac fonde une société de conseil, qui lui rapporte, selon Paris Match plus de 150 000 euros de bénéfices annuels.
Le ministre dément immédiatement les informations du site, qu’il qualifie de « diffamatoires ». Dans un communiqué publié sur son site, il promet de porter plainte et accuse le site de n’avoir pas produit le moindre document prouvant ses dires. Il répète ses dénégations le lendemain sur RTL.
2/ Qui est Rémy Garnier et pourquoi est-il mêlé à l’affaire ?
Un nom va revenir souvent durant cette semaine, celui de Rémy Garnier. Cet ancien inspecteur des impôts du Lot-et-Garonne (département d’élection de M. Cahuzac), aujourd’hui à la retraite, jure ne pas être la source de Mediapart.
Mais le site s’est beaucoup appuyé sur un mémo écrit en 2008 par celui que ses collègues surnommaient « Colombo », selon Sud-Ouest, et qui soulève une série de questions autour de la situation fiscale de M. Cahuzac.
Le quotidien régional révèle que M. Garnier avait mal digéré une intervention de Jérôme Cahuzac, en 1999, afin de faire effacer le redressement fiscal d’une entreprise de sa circonscription, qui faisait suite à une enquête de l’agent du fisc.
Ce dernier aurait ensuite consulté, sans autorisation, le dossier fiscal de M. Cahuzac, ce qui lui aurait valu un avertissement.
M. Garnier – un personnage connu dans sa région, mais aussi controversé – estime que cette affaire l’a conduit à être mis au placard par l’administration, contre laquelle il a intenté quatre procès, toujours en cours.
Lors d’une audience, il a ainsi expliqué qu’un « aviseur »‘ (informateur anonyme) lui aurait indiqué que M. Cahuzac avait ouvert un compte suisse « entre 1988 et 1991, époque où il officiait comme conseiller du ministre de la santé, Claude Evin ».
C’est aussi en marge d’un de ces procès, afin de justifier sa consultation illégale du dossier fiscal du futur ministre, qu’il rédige le mémo reprenant ses interrogations, et dont il reconnaît aujourd’hui qu’il contient des « lacunes ».
Point important : la défense de Rémy Garnier est assurée par Me Michel Gonelle, ancien maire RPR de Villeneuve-sur-Lot, qui fut battu en 2011 par un certain… Jérôme Cahuzac. Me Gonelle se défend de toute implication dans l’affaire.
3/ Quels éléments avance Mediapart ?
Critiqué pour ne pas publier de preuves à l’appui de ses révélations, Mediapart se défend en publiant, le mercredi 5 décembre, un nouvel article. Titré « l’aveu enregistré », il reprend une conversation téléphonique enregistrée fin 2000 dans des circonstances rocambolesques :
le futur ministre Cahuzac aurait terminé une conversation, puis rappelé par mégarde son interlocuteur, dont Mediapart ne donne pas le nom. Le répondeur téléphonique de ce dernier aurait alors enregistré la conversation entre M. Cahuzac et un chargé d’affaires.
Le journal Sud-Ouest révélera par la suite que cet enregistrement aurait été déposé chez un notaire par le mystérieux interlocuteur de M. Cahuzac, qui serait « honorablement connu », ajoute le quotidien, sans plus de précisions.
Sur la bande, une voix difficilement indentifiable, mais que le site affirme être celle de M. Cahuzac, dit : « Moi, ce qui m’embête, c’est que j’ai toujours un compte ouvert à l’UBS, mais il n’y a plus rien là-bas, non ? La seule façon de le fermer, c’est d’y aller ? » Plus tard dans la conversation, la voix répète :
« Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques », ou encore « il n’est pas exclu que je devienne maire au mois de mars, donc je ne tiens vraiment pas du tout à ce qu’il y ait la moindre ambiguïté ».
4/ Et que répond M. Cahuzac ?
Le ministre mis en cause se défend pied à pied. Il a assuré Jean-Marc Ayrault de sa bonne foi dans l’affaire, et serine dans tous les médias n’avoir « jamais » possédé de compte en Suisse « ou ailleurs à l’étranger », tout en mettant Mediapart au défi de prouver le contraire
Et en prévenant – de façon quelque peu paradoxale – que s’il existait des documents ou des témoignages, ce seraient « ‘des faux ou des élucubrations sans preuves ».
A l’appui de cette déclaration et de sa plainte en diffamation, Me August, l’avocat de M. Cahuzac, invité d’Europe 1 mercredi, met en avant les erreurs dans le mémo de Rémy Garnier : il « a également prétendu (…) que Jérôme Cahuzac avait, je cite, ‘une villa à Marrakech et une maison à La Baule’. Moi je dis pourquoi pas une hacienda au Mexique ? »
Rémy Garnier répondra jeudi 7 décembre dans Le Parisien, où il reconnaît son erreur sur ce point, mais « maintien tout le reste ». Il explique notamment avoir noté, dans le dossier fiscal de Jérôme Cahuzac, « des anomalies apparentes et chiffrées. Des revenus omis ».
5/ Comment M. Cahuzac a-t-il financé son appartement ?
Autre défense du ministre, celle concernant son appartement. Mediapart affirmait, sur la foi du mémo de M. Garnier, qu’il avait « financé comptant » son appartement pour les deux tiers, un tiers provenant d’un prêt bancaire.
Le site produit d’ailleurs un acte notarié de la vente, qui date du 28 octobre 1994, et fait état de quatre millions de francs versés sur les « deniers personnels » de M. Cahuzac.
Le ministre répond en publiant un plan de financement détaillé, selon lequel il a emprunté 2,2 millions de francs à BNP Paribas, et utilisé des fonds venant de la vente de son logement précédent, mais aussi un prêt personnel de ses parents.
Rue89 s’est interrogé sur deux points de ce document : le prêt parental et la revente de l’appartement précédent sont postérieurs d’un mois à l’achat du bien, et le groupe BNP Paribas, dont il est fait mention, n’existait pas en 1994, puisqu’il est né de la fusion des deux entités en 2000.
Enfin, le ministre a été quelque peu flou sur un éventuel voyage en Suisse en 2010 : M. Cahuzac assure qu’il était « tellement peu discret que j’ai dû prendre mes billets par le service des transports de l’Assemblée nationale ».
Mais il refuse de divulguer les motifs de ce déplacement, se bornant à affirmer qu’il a été rencontrer des personnes susceptibles de lui donner des informations « de nature fiscale ».
6/ Qu’a à voir le divorce de M. Cahuzac dans l’affaire ?
Le Journal du dimanche a apporté de nouveaux éléments, en rappelant que le ministre est actuellement en instance de divorce avec son épouse Patricia, par ailleurs également dermatologue et spécialiste de la chute de cheveux, et son associée dans leur clinique commune.
Toujours selon le Journal du dimanche, le couple se déchire notamment sur le devenir de l’appartement.
Or, selon l’hebdomadaire, Mme Cahuzac a fait suivre son mari par des détectives. L’un de ceux-ci aurait rencontré Rémy Garnier et rédigé des rapports pour le compte de l’avocate de Patricia Cahuzac. Une avocate qui n’est autre que Me Isabelle Copé, sœur du président proclamé – et contesté – de l’UMP.
Autre information, venant cette fois de Paris-Match : des détectives privés auraient eu à travailler, dans le cadre de cette séparation, sur plusieurs pistes, et notamment « l’éventualité d’un compte ouvert à l’UBS à Genève et le nom de Marc D., un cadre de la banque suisse ayant pu avoir connaissance de circuits financiers offshore, aujourd’hui basé à Singapour ».
Selon l’hebdomadaire, les détectives seraient allés à Singapour, et auraient rencontré Rémy Garnier.
L’entourage du ministre du budget évoque quant à lui la possibilité de règlements de comptes liés à son action politique, notamment envers la fraude fiscale, sans apporter d’éléments pour étayer cette piste.
Samuel Laurent
http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/12/10/si-vous-n-avez-rien-suivi-de-l-affaire-cahuzac_1804062_823448.htm