La préférence française pour l’impôt
Gérard Depardieu ne mérite pas seulement le respect dû à un artiste exceptionnel, mais aussi le salut à un grand Français, dût-il détenir désormais un passeport russe.
Au lieu d’avancer masqué comme les dirigeants d’entreprise qui s’installent à l’étranger en prétendant continuer à payer leurs impôts en France, il a assumé son départ et fait exploser le déni qui entoure la multiplication des exils et des abandons de la nationalité française en raison d’une fiscalité confiscatoire et d’un climat de guerre civile hostile à l’entreprise, à la création et à la réussite.
Jusque dans ses excès, Gérard Depardieu pointe à juste titre la dégénérescence d’une République dont la devise n’est plus « Liberté, Égalité, Fraternité » mais « Fiscalité, Envie, Assistance ».
Force est de constater que la préférence française pour l’impôt est devenue insoutenable et mène le pays à sa ruine. De ce point de vue, la décision du Conseil constitutionnel, si elle constitue une lourde défaite politique pour le gouvernement, se révèle dramatique pour l’économie. Elle valide trois principes qui mettent la France au ban des nations développées :
l’absence de toute limite à la hausse des recettes publiques, qui vont culminer à 52 % du PIB ; la légalité d’une taxation du capital très supérieure à celle du travail ; la définition très lâche du caractère confiscatoire de l’impôt qui autorise l’amputation annuelle du patrimoine des citoyens de 2,5 % par an via l’ISF, compte tenu de la faiblesse des rendements et de l’inflation ainsi qu’un taux marginal de prélèvement de 68 %, sans équivalent dans le monde.
Au niveau extravagant des prélèvements s’ajoute une instabilité qui crée une incertitude radicale interdisant toute opération économique de long terme et le retour à l’arbitraire dans le comportement de l’administration.
Rompant avec vingt années de progrès dans les relations avec les contribuables, la nouvelle police fiscale évolue dans une zone de non-droit, caractérisée par une compétence de principe illimitée et l’absence de contrôle du juge.
Avec pour résultat la transformation des contrôles en dragonnades fiscales où les redressements ne sont plus fondés sur le droit mais sur la situation de fait créée par la dégradation des finances publiques et de la capacité contributive des contribuables.
La France, en imposant 65 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires depuis 2011 à une économie en croissance zéro, télescope de plein fouet la falaise fiscale que les États-Unis ont réussi à repousser.
Loin d’instaurer un nouveau modèle français, le fiscalisme porte le coup de grâce à tout espoir de reprise, vouant l’économie française à une stagnation durable et à un chômage permanent.
Sabotage. Les entreprises, dont le taux de marge est à un plus bas historique, supportent plus de la moitié des prélèvements supplémentaires (portant leur contribution à 19 % du PIB, contre 9 % en Allemagne), ce qui achève d’affaiblir la production quand la redistribution s’emballe à grand renfort de retour à la retraite à 60 ans et de renforcement du RSA.
La montée en gamme de l’offre nationale est tuée dans l’oeuf par la délocalisation massive des fortunes et des entrepreneurs, des centres de décision des grandes entreprises et de pans entiers de l’industrie financière, comme les fonds d’investissement, tandis que les investissements étrangers s’effondrent.
La prise de risque comme l’indispensable effort d’investissement et d’innovation sont annihilés par des taux de prélèvement compris entre 46,5 et 64,5 %. L’augmentation du coût du travail alimente les faillites et les destructions d’emploi par le secteur privé.
D’où l’explosion du chômage et la paupérisation de la France, dont la richesse nationale a baissé de 2 % depuis quatre ans, tandis qu’elle gagnait 1,4 million d’habitants, ce qui amorce la spirale du sous-développement et la trappe de la pauvreté.
La fiscalité française est avec le Code du travail le premier obstacle à la reprise et à la lutte contre le chômage de masse. Comme la relance par la consommation et les nationalisations en 1981, elle est en passe de faire divorcer la France des pays développés et plus encore de nos partenaires européens.
Dans la compétition féroce que se livrent les nations pour attirer les talents, les entreprises et les capitaux afin de favoriser une sortie de crise durable, d’aucuns ne s’y trompent pas qui, de David Cameron à Didier Reynders, rivalisent pour accueillir la fine fleur de la France et tirer le meilleur parti du suicide économique de notre pays.
À partir de 2013, la France reste le seul pays de la zone euro à conserver un impôt sur la fortune. L’impôt sur les sociétés atteint 36,1 %, contre 29 % en Allemagne et 23 % au Royaume-Uni.
La Belgique joue sur l’absence d’imposition sur les plus-values et la faiblesse de la fiscalité sur les successions. Dans l’économie ouverte et le grand marché, le pays qui concentre le maximum d’impôts et de taxes et les taux les plus élevés sur l’ensemble des prélèvements se voue à la décroissance, au chômage permanent et à la prolétarisation.
Il est bien vrai que la France attend désespérément une réforme fiscale. Mais celle-ci ne peut porter aux extrêmes la logique du « taxer plus pour dépenser plus ». Elle doit obéir à quatre principes.
Rétablir la fiscalité dans ses missions premières, qui consistent à couvrir les dépenses publiques, à respecter l’efficacité économique et à assurer la justice sociale, non à prétendre instaurer un capitalisme sans capitalistes ni capital ou organiser la lutte des classes.
Privilégier la production, la compétitivité et l’emploi, notamment en cessant de dissuader l’épargne longue et en la réorientant vers les entreprises et l’innovation.
Restaurer l’État de droit et la stabilité de la norme en matière fiscale.
Enfin et surtout, interdire toute hausse de prélèvements ou création de taxes pour accorder la priorité à la baisse des dépenses publiques, sans laquelle la France passera à côté de la reprise et s’enfermera dans une très longue dépression à la japonaise.
Par NICOLAS BAVEREZ
Le Point – Publié le 10/01/2013
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