Tous ces nouveaux impôts qui ne serviront qu’à boucher les trous
Les recettes attendues par le fisc ne permettront pas de boucler le budget en 2014. Il faut trouver 6 milliards de plus. Voici les pistes sur lesquelles Bercy travaille.
Jérôme Cahuzac a-t-il fait une erreur de communication, en lâchant, lundi 25 février, au micro d’Europe 1, que la « stabilité fiscale » imposera de « trouver 6 milliards d’euros de recettes supplémentaires » pour boucler le prochain budget. Il s’est certes exprimé en comptable sérieux… mais pas en politique habile.
Car le chiffre a occulté l’explication. Alors que l’exécutif répète en boucle que, après l’effort fiscal massif réclamé de 2013 (quelque 35 milliards d’euros!), le temps n’est plus aux hausses d’impôts mais aux coupes dans les dépenses, le message est brouillé!
D’où les efforts de Pierre Moscovici, invité du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI pour tenter de désamorcer la question d’une hausse de la fiscalité.
Son ministre délégué au Budget en a, en fait, trop dit sur les dessous de la fabrication du budget de l’Etat, qui exige chaque année des « réajustements ».
Ainsi, il était déjà indiqué noir sur blanc dans une annexe de la loi de programmation des finances publiques 2012-2017, publiée en décembre, qu’il manquerait 4 milliards en 2014 par rapport aux recettes attendues, de 394,5 milliards en 2013.
Ce que Bercy n’avait pas prévu
Comment est-ce possible ? Parce que certaines mesures votées en 2012 étaient des « fusils à un coup », censées ne remplir les caisses qu’en 2013, tels la taxe sur les assureurs, l’avance réclamée sur l’impôt sur les sociétés (IS), la majoration temporaire de ce même impôt (-2,6 milliards).
D’autres mesures ont eu un rendement surélevé lors de leur mise en œuvre car elles ont prélevé sur deux exercices (2012 et 2013) mais sont moins rentables à partir de 2014, en rythme normal (- 4,5 milliards), telles les restrictions sur les niches des entreprises (« niche Copé » sur les plus-values sur vente de filiales, déductibilité des intérêts d’emprunt, report des déficits…).
En revanche, certaines mesures (la hausse des taxes sur les tabacs par exemple) rapporteront davantage à partir de 2014 (+2,5 milliards).
Enfin, deux mauvaises surprises ont alourdi la facture : le rendement de la taxe sur les transactions financières a été largement surestimé (-1 milliard), et le Conseil constitutionnel a censuré certains alourdissements d’impôts votés dans le budget 2013 (-500 millions).
Et voilà comment se créée un « trou » de 6 milliards.
Pourquoi le gouvernement se donne jusqu’à l’été pour trancher
Il s’agit donc bien de compenser de moindres rentrées fiscales et pas d’accroître, au total, les prélèvements… mais comment? Pour colmater, il faudra bien relever certains impôts, créer quelque taxe et/ou sabrer dans des niches.
Bercy n’en dit mot, tétanisé par cette médiatisation prématurée. Après tout, rien ne presse : la France doit certes présenter son programme de redressement des comptes publics à la Commission en avril mais Bruxelles s’intéresse surtout aux efforts sur les dépenses et ne regardera pas dans le détail le volet impôts.
Il n’est donc pas besoin de trancher avant l’été, lorsqu’il faudra préparer le budget 2014 présenté en octobre. Avant, motus et bouche cousue sous peine de réveiller les lobbies, d’énerver les autres ministres, bref de saborder les rudes arbitrages à venir.
L’exercice de com’ est d’autant plus délicat que, en plus des 6 milliards, le gouvernement va déjà aussi devoir lever les taxes destinées à financer le crédit d’impôt compétitivité… soit 10 milliards de plus, non comptés dans le budget jusqu’ici !
Pour ce faire, le gouvernement compte relever les taux de TVA (5%, 10%, 20%) au 1er janvier 2014, pour engranger 6,5 milliards, et « renforcer » la fiscalité écologique, notamment en remontant progressivement les taxes sur le diesel (dont l’écart avec l’essence fait perdre 7 milliards à l’Etat), pour récupérer plus de 3 milliards.
Pour ces nouveaux impôts, les idées ne manquent pas
« Ces prélèvements ont été annoncés en novembre lors de la présentation du Pacte de compétitivité. Et ils n’augmentent pas la pression fiscale, ils compensent des baisses de charges accordées aux entreprises.
Cependant, l’opinion publique ne verra sûrement pas les choses ainsi : quand ces taxes rentreront en vigueur, ça risque de lui paraître comment un coup de bambou, des impôts nouveaux et supplémentaires » s’inquiète-t-on au ministère du Budget. En tout cas, ce sont deux leviers déjà actionnés, plus question donc de s’en servir au-delà.
Pour combler le trou des 6 milliards, l’équipe de Jérôme Cahuzac ne manque pas (d’autres) d’idées : ils avaient déjà phosphoré tous azimuts pour le budget 2013. « Nous avons sous le coude une très longue liste de diverses mesures qui, si on les additionnait, feraient rentrer 50 milliards » plaisante en coulisses un conseiller.
Mais impossible de savoir ce qu’il y a dessus ! La seule indication fuitée par Bercy est qu’il cherchera « à respecter l’équilibre : les rattrapages d’impôts devront concerner d’abord ceux qui «bénéficient» du léger amoindrissement de pression de 2014″… soit très majoritairement les entreprises.
Dans ce domaine, Bercy a la volonté affichée de mieux taxer les entreprises du Web (les Microsoft, Amazon, Google, Facebook et autres…), championnes de l’optimisation, mais les pistes proposées par le rapport de deux experts Nicolas Colin et Pierre Collin, remis en janvier, sont difficilement concrétisables.
Sinon, les dossiers les plus avancés concernent plutôt les particuliers. Sinon, Bercy n’a pas fait mystère de plancher sur certaines dispositions retoquées par le Conseil Constitutionnel pour les rendre acceptables, telle la taxe à 75% sur les hauts revenus ou l’alourdissement de la fiscalité sur les plus-values immobilières, avec dans les 400 millions à la clé.
Il a aussi confié aux députés Dominique Lefebvre et Karine Berger une mission sur la réforme de l’épargne financière, avec, dans le collimateur, le régime privilégié de l’assurance-vie et des plans d’épargne en actions. Les deux « coûtent » à l’Etat plus de 3,5 milliards. Sans tout supprimer (il ne faut pas décourager cette épargne longue nécessaire à l’économie), on pourrait restreindre.
Quelles sont les niches fiscales menacées ?
Bercy veut aussi aller plus loin dans la chasse aux niches de l’impôt sur le revenu. Il a notamment indiqué lors du budget 2013 qu’il s’attaquerait au fameux dispositif « Girardin » de défiscalisation d’investissements outre-mer.
Au total, la « dépense fiscale » pour les DOM-TOM se monte à 3 milliards d’euros. Impossible de tailler trop fort car l’économie des îles est fragile mais une remise à plat pourrait faire gagner quelques centaines de millions.
Le ministère du Budget pourrait aussi revenir à la charge sur des arbitrages perdus l’an dernier: il voulait notamment réduire les abattements sur le mécénat pour les particuliers comme pour les entreprises.
Et si Bercy venait à manquer de solutions, d’autres lui en suggèrent. Christian Eckert, rapporteur de la Commission des finances, veut pousser la réflexion sur l’alignement de la fiscalité des retraités sur celle des actifs.
La Cour des comptes évalue à 12 milliards la perte due à la moindre imposition des retraités (abattement de 10 %, CSG allégée, non imposition de la majoration de retraite pour trois enfants, etc). Mais si Pierre Moscovici assurait, alors, que « la question n’est pas taboue » Matignon et l’Elysée sont prudents sur ces mesures très impopulaires.
En revanche, Bercy pourrait avoir plus de marge de manœuvre sur la politique familiale (5 milliards de « dépenses » fiscales). Un expert de la Cour des comptes, Bertrand Fragonard, va remettre un rapport sur le sujet qui permettra d’aborder des pistes polémiques évoquées dernièrement comme la demi-part fiscale des parents d’étudiants ou la fiscalisation des allocations familiales.
Pour respecter les 3% de déficit en 2014, les impôts devront encore augmenter
Au total, sur tous ces dossiers -et les autres encore restés discrètement dans les tiroirs sur la fiscalité des entreprises-, en bougeant plus ou moins les curseurs, en saupoudrant plus qu’en ciblant, les 6 milliards devraient pouvoir être trouvés sans trop de peine. Mais, une fois le bouchage de trou effectué, est-ce que c’en serait fini des impôts nouveaux ? Pas si sûr…
Car s’il y en a un qui a mis à mal la fameuse promesse de stabilité fiscale, c’est moins Jérôme Cahuzac que François Hollande avec sa petite phrase sur les efforts supplémentaires pour respecter l’engagement des 3% de déficit, repoussé à 2014: « c’est d’abord par des économies et subsidiairement par des prélèvements supplémentaires que nous devrons atteindre nos objectifs. » Moins d’impôts à venir que d’économies de dépenses donc, mais un peu d’impôts quand même !
Par Gaëlle Macke
http://www.challenges.fr/economie/20130304.CHA6899/fiscalite-ces-nouveaux-impots-qui-ne-servent-qu-a-boucher-les-trous.html