Y’en marre de sacrifier les classes moyennes pour atteindre le sacro-saint objectif des 3 % de déficit
Posté par ippolito le 9 mars 2013
On achève les classes moyennes
Obstiné par l’impératif de rigueur, le gouvernement sacrifie les classes moyennes sur l’autel de l’austérité. Un risque social et politique majeur.
«Faut qu’ça saigne !» Peut-être François Hollande a-t-il été bercé, dans son enfance, par ces mots de Boris Vian. Le futur président n’avait que 1 an quand Saint-Germain-des-Prés chantait «Faut qu’ça saigne !»
Depuis deux semaines, le même air de tango semble résonner entre les murs de Matignon et de l’Elysée. Mais ce ne sont plus les bouchers de la Villette qui poussent la chansonnette, mais le chœur des classes moyennes promises au sacrifice fiscal et social sur l’autel de l’austérité qui déchante.
Avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault dans le rôle des désosseurs du modèle social français…
Le 12 février, Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, a donné le la : «Faute de croissance et en dépit des efforts fiscaux considérables, les déficits publics seront encore supérieurs cette année à 3 % du PIB, infirmant l’engagement principal de François Hollande vis-à-vis des Français et des partenaires européens.» Alors, faut qu’ça saigne ! Après le concours Lépine des hausses d’impôts, les propositions de baisse des dépenses de l’Etat et de réduction des droits sociaux se sont mises à fleurir comme les pâquerettes après la pluie.
Si la floraison fut aussi rapide, c’est qu’elle a été dûment préparée. Didier Migaud, selon les usages de la Cour des comptes, avait averti le gouvernement de la teneur de ses observations une semaine avant de les rendre publiques. Jean-Marc Ayrault a donc eu le temps de réunir les principaux ministres à Matignon : Marisol Touraine (Affaires sociales, Santé), Michel Sapin (Travail, Emploi), Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac (Economie et Budget)…
Certes, il est possible d’obtenir de Bruxelles un délai d’un an pour atteindre le sacro-saint objectif des 3 % de déficit, en jouant notamment sur les imprécisions des traités européens. Encore faut-il prouver à nos partenaires européens qu’une action vigoureuse sera mise en œuvre en 2014. Or, la Cour des comptes note que, au-delà de 2013, aucune mesure de réduction des dépenses n’est officiellement prise, et encore moins votée par le Parlement ! D’où les ballons d’essai lancés dans l’opinion.
Le premier est lâché par Didier Migaud lui-même. «Pourquoi ne pas fiscaliser les allocations familiales ?» s’interroge le magistrat sur Europe 1. Eh oui, pourquoi pas ? Cette mesure rapporterait 800 millions d’euros prélevés sur les cadres et les professions intermédiaires. Bref, sur les classes moyennes. «Exclure les classes moyennes des dispositifs sociaux, comme l’Unedic ou les prestations familiales, cela peut faire exploser le système de protection fondé sur la solidarité de tous, y compris des plus aisés», prévient Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière.
POLITIQUE DE GRIBOUILLE
Allocations familiales fiscalisées, gel des pensions de retraite, indemnisations chômage des hauts salaires pointées du doigt (par un récent rapport de la Cour des comptes, encore)… tout se passe comme si notre pays avait acté que nous n’avions plus les ressources pour financer notre système de politique familiale et de protection sociale universelle – chacun cotisant selon ses moyens et recevant selon ses besoins.
Sur le papier, cela pourrait apparaître comme du bon sens, mais, à terme, cela ne manquera pas de poser un vrai problème de consentement à l’impôt : les classes moyennes, qui ont le sentiment, à juste titre, de contribuer pour beaucoup au financement de notre système social, se voient de plus en plus exclues de la redistribution. Jusqu’où accepteront-elles de payer ?
C’est pourquoi le prochain débat sur les retraites promet d’être électrique. Afin de trouver 20 milliards d’euros d’économies d’ici à 2020, les partenaires sociaux pourraient discuter de l’éventualité de désindexer tout ou partie des pensions.
Si celles-ci se retrouvent demain à augmenter moins vite que l’inflation (de 1 %), les retraités perdront du pouvoir d’achat. Cela permettrait, certes, aux caisses de retraite de vite améliorer leurs comptes de plusieurs milliards d’euros, mais la solution tient du remède de cheval.
Une potion amère qu’aucun gouvernement, de gauche comme de droite, ne s’est jamais risqué à prescrire jusqu’à présent. «Mais, que voulez-vous, nous avons besoin de donner des signes sur les retraites aux autres gouvernements de la zone euro», soupire une ministre.
2014 s’annonce donc terrible. Pire que 2013. Pour pallier la baisse de la croissance, la majorité pense n’avoir d’autres solutions que de taper les classes moyennes au portefeuille. Pour financer le crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), les taux de TVA augmenteront de 19,6 à 20 % et de 7 à 10 %, ce qui doit rapporter 6,5 milliards d’euros.
Le gouvernement a aussi promis une nouvelle «fiscalité environnementale», coqueluche des écologistes.
Selon nos informations, ces taxes vertes sont si complexes qu’il faudra peut-être se contenter d’une hausse de la fiscalité sur le gazole, d’une dizaine de centimes, qui apporterait 3 milliards d’euros à terme. Consommateurs et automobilistes feront donc les frais d’une politique de gribouille.
Si les députés socialistes disent «assumer» le choix fondamental de ramener les déficits à 3 % coûte que coûte, le rapporteur général du budget à l’Assemblée, Christian Eckert, ne le fait «pas de gaieté de cœur». «Nous avons réussi à protéger les classes populaires de la rigueur. Nous n’avons pas d’autre choix que de demander un effort aux classes moyennes», avoue-t-il.
Le problème, c’est que les classes moyennes ont déjà beaucoup donné.
Le pouvoir d’achat des ménages français calculé par l’Insee a reculé de 1,1 % en 2012. Selon les calculs de Marianne, les multiples hausses d’impôts et de cotisations décidées ces deux dernières années ont déjà coûté quelque 20 milliards d’euros aux catégories sociales gagnant entre 14 000 et 26 000 € par an.
En 2013, selon une étude du cabinet Aon Hewitt, une entreprise sur deux ne procédera à aucune augmentation générale des salaires. Quant aux fonctionnaires, ils attendent depuis trois ans le dégel du point d’indice… qui ne viendra pas de sitôt !
DÉFAITISME AU GOUVERNEMENT…
D’où la colère, l’écœurement, le sentiment de trahison même, que révèle notre sondage Jean-Claude Mailly raconte le ras-le-bol de ces salariés de PME «qui parlent d’une perte de revenus de 60 à 80 € par mois due à la refiscalisation des heures supplémentaires».
De son côté, la Confédération générale de cadres (CGC) a sondé ses adhérents. «Cinquante-sept pour cent d’entre eux se disent mécontents», affirme Carole Couvert, la secrétaire générale de la centrale.
Principale mesure visée : la hausse du «forfait social» sur les primes d’intéressement et de participation, passé de 8 à 20 %, soit un prélèvement accru de 1,8 milliard.
On est loin du ciblage fiscal sur les seuls très hauts revenus, le fameux «un contribuable sur dix», tel que le décrivait Jérôme Cahuzac à l’automne 2012. Voilà pourquoi, selon l’enquête Harris Interactive, 80 % des personnes issues des classes moyennes considèrent que la politique fiscale du gouvernement à leur endroit est injuste.
Certains membres du gouvernement commencent tout juste à reconnaître qu’«[ils] ne peu[vent] pas continuer comme ça». Mais en triple off seulement. La ministre de l’Ecologie, Delphine Batho, est l’une des rares à oser dire tout haut que le gouvernement est allé «au maximum de ce qu’il peut faire en termes d’économies et de réduction des dépenses».
C’est qu’il règne dans les rangs ministériels comme une forme de résignation. Même ceux qui, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, portaient haut la bannière du volontarisme, ceux que l’on ne pouvait pas soupçonner de social-libéralisme débridé, pratiquent désormais une langue nouvelle : le social-défaitisme. «Il y a urgence. Les finances du pays sont au plus mal», répond, définitif, un ministre pourtant habitué à jouer les matamores.
Comme si le «mur de la réalité budgétaire» ne pouvait être abattu ni même contourné. Comme si, désormais aux commandes du pays, cette fameuse «réalité» emportait tout sur son passage. Comme si les socialistes au pouvoir avaient finalement repris à leur compte, sans vraiment s’en rendre compte ni l’assumer, le slogan de Margaret Thatcher : «There is no alternative.» Et tant pis pour les travailleurs des catégories populaires et des classes moyennes, de plus en plus pressurés.
Le gouvernement Ayrault semble s’être fixé une ligne : oui, on peut demander beaucoup à ces classes moyennes qui constituent l’électorat traditionnel du PS ; oui, on peut réduire la protection sociale de tous, mais à la condition de préserver les plus défavorisés.
C’est ainsi que Christian Eckert imagine que la désindexation des retraites pourrait épargner les «petites pensions», quitte à reporter la charge sur les autres retraités, «dont le niveau de vie est aujourd’hui plus élevé que celui de jeunes actifs».
Du côté des familles, le plafonnement des allocations familiales serait compensé par plus de places en crèche pour les mères isolées, etc. Carole Couvert (CGC) s’insurge. «On essaye d’opposer les catégories entre elles ! Taper sur les classes moyennes, c’est accélérer la récession. Ce sont elles qui consomment et tirent l’économie», rappelle-t-elle.
PROMESSES NON TENUES
Ça grince et ça grogne aussi dans les rangs socialistes. Mais, pour entendre ces mécontentements, il faut quitter l’univers feutré (et docile) des ministères. L’aile gauche du PS, par exemple, est tout bonnement atterrée par les décisions du gouvernement. Ses membres savent surtout que l’hiver budgétaire s’annonce encore plus rigoureux.
«Le gros des efforts est demandé aux salariés, mais aussi aux collectivités locales, explique ainsi Emmanuel Maurel, élu régional d’Ile-de-France et nouveau chef de file de l’aile gauche. D’ici à 2015, en cumulé, ce sont 4,5 milliards d’euros en moins pour elles. Les conséquences sur la vie quotidienne des Français vont être importantes.»
Et il n’y a pas que l’aile gauche pour s’alarmer. Désormais, le trouble suscité par la politique gouvernementale est pour ainsi dire «transcourant». Un ponte de l’Assemblée issu de l’aile la plus droitière de la maison socialiste regrette, comme la plupart de ses petits camarades, que la grande révolution fiscale promise par François Hollande n’ait pas vu le jour :
«Cette réforme, il aurait fallu la faire tout de suite. La fusion de la CSG avec l’impôt sur le revenu, c’est un Himalaya, on est d’accord. Mais, dans toute randonnée, il y a un premier pas… que nous n’avons pas fait. Pour mener cette réforme, qui est tellement anxiogène, il aurait fallu qu’il y eût à la tête de l’Etat ou un suicidaire, ou un mec doté de couilles en titane !»
A l’évidence, l’exécutif n’a dans ses rangs aucun de ces deux profils… Notre député prend pour exemple la nécessaire réforme de la valeur locative qui conduit aujourd’hui à une aberration : les catégories populaires et les classes moyennes qui vivent en périphérie des villes dans des logements récents payent proportionnellement plus d’impôts locaux que les habitants, socialement mieux lotis, des centres urbains…
Une vraie réforme fiscale, c’est aussi ce qu’appellent de leurs vœux les 23 députés et sénateurs signataires du manifeste de la Gauche populaire. Ces parlementaires, principalement socialistes (deux écologistes les ont rejoints), veulent se poser en «aiguillons» du gouvernement. Pour eux, le lien entre la gauche et les classes moyennes et populaires est encore très «fragile». «En 2012, au premier tour, 28 % des ouvriers vont à François Hollande, 29 % vont à Marine Le Pen», rappelle le député-maire d’Argenteuil, Philippe Doucet.
Si le gouvernement n’y prend pas garde, ce lien pourrait rapidement s’effilocher. Priorité doit donc être donnée à l’emploi, mais aussi au pouvoir d’achat de cette France des travailleurs à qui la gauche est génétiquement censée parler. François Kalfon, l’un des animateurs de la Gauche populaire, résume : «Faute de preuves données aux classes populaires, la rigueur juste, c’est juste la rigueur.»
Juliette Méadel, directrice générale du think tank Terra Nova, prévient, elle aussi : «Il nous faut faire attention à des mesures qui donneraient l’impression de favoriser une toute petite partie de la population. Entre la taxe à 75 % pour les plus riches et l’aide aux plus pauvres, il faut une politique pour ceux qui se situent entre les deux.» Un député aubryste regrette par exemple que les fameux emplois d’avenir n’aient été réservés qu’aux jeunes sans diplôme ou détenteur d’un CAP ou d’un BEP. Quid, en effet, des enfants dont les parents se sont saignés pour leur offrir des études supérieures ? Ceux-là n’y auront pas accès…
Un ministre reconnaît d’ailleurs un déficit du gouvernement en la matière. Un déficit de com seulement : «Il faut que nous arrêtions le chœur des belles âmes, car, à articuler notre politique autour des plus démunis, on nous reproche de faire de l’assistanat. Bien sûr qu’il faut aider les plus défavorisés, mais il ne faut pas communiquer dessus ! Il faut construire un discours à destination des méritants.»
Mais, pour l’heure, il n’y a pas de discours, encore moins d’action…
RIGUEUR OBSESSIONNELLE
Reste à comprendre pourquoi le gouvernement semble enfermé dans la rigueur. Les socialistes sur le sujet sont partagés. Serait-ce le «manque d’imagination» de l’équipe en place ? Son «amateurisme» ? Le «poids de la technostructure» ? La «crainte d’être sanctionné par les marchés» ? La simple traduction pratique de la ligne sociale-démocrate ? Ou l’agglomérat de toutes ses raisons à la fois ?
Pour Pascal Durand, le discret chef de file des écologistes, c’est le logiciel politique du gouvernement qui est tout simplement obsolète : «La rigueur budgétaire ne peut pas constituer le cap d’une majorité de gauche et écologiste. La question qui se pose à nous, c’est : Comment construit-on une prospérité sans croissance ?»
La gauche, pour l’heure, répartit la pénurie, faute de mieux, et ce sont les classes moyennes qui en font les frais !
GÉRALD ANDRIEU ET HERVÉ NATHAN
http://www.marianne.net/On-acheve-les-classes-moyennes_a226868.html
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