Une réforme fiscale de gauche avant la fin du monde?
Manque d’audace et manque d’idées sont les deux mamelles de Bercy
Les choix fiscaux de ces vingt dernières années, qui ont surtout consisté à abaisser les impôts directs progressifs, ont contribué à laminer les services publics,
à favoriser la hausse des inégalités et à multiplier les niches fiscales, au profit d’une minorité de contribuables riches.
Heureusement, Hollande, débarrassé de la mauvaise influence de Cahuzac et bientôt de Moscovici, va réformer profondément la fiscalité afin de réduire les inégalités… Hein? Allô!
Christian Steenhoudt a été inspecteur principal des impôts et secrétaire général du SNUI (Syndicat national Unifié des Impôts). Il est actuellement membre du bureau national de la FGR-FP (Fédération Générale des Retraités de la Fonction Publique)
CHARLIE HEBDO: Reculer face à des pigeons, se planter sur les 75%, reconduire le gel du barème de l’impôt sur le revenu, tout cela est loin de la grande réforme fiscale promise.
C. Steenhoudt : Avec plus de
quarante ans de pesanteurs idéologiques du style «moins
d’État, moins d’impôt», «trop
d’impôt tue l’impôt», on part de
loin. Ces discours ont conditionné l’inconscient populaire.
Répéter à satiété que le poids des prélèvements fiscaux et sociaux plombe la compétitivité, que les
impôts font fuir les entrepre
neurs et les investisseurs, ou que la fraude sociale est un cancer bien plus grave que la fraude fiscale, tout cela contribue à faire perdre de la légitimité à ces pré
lèvements.
L’impôt a de tout temps entraîné beaucoup de rejet de la part des contribuables,
alors qu’il est un élément essen
tiel de la vie collective dans un
État démocratique.
C’est pour
quoi l’impôt doit être à la hauteur des besoins, être progressif, juste et compréhensible par tous. Il va falloir du courage politique pour arriver à rééquilibrer la structure des rentrées budgétaires entre impôts directs et impôts indirects (environ trois fois plus importantes) et, pour cela, il va falloir en particulier travailler sur l’assiette de l’impôt en s’attaquant sérieusement aux cinq cents niches fiscales qui existent toujours et qui pour la plupart favorisent les hauts revenus.
Il faudra aussi repenser toute la fiscalité concernant le patrimoine, et pas seulement le patrimoine immobilier. Au lieu de continuer à patauger sur les 75%, il faut multiplier les tranches de l’impôt sur le revenu pour rétablir sa progressivité et aller au-delà des 45 %.
Quand Fillon augmente la TVA, le candidat Hollande trouve cela inopportun, injuste et infondé. Il y aurait donc une TVA de droite et une TVA de gauche?
Tout le monde ou presque sait que la TVA est injuste. Son augmentation pour régler le problème de compétitivité est une mauvaise réponse. Il faut s’attaquer aux racines du mal, sinon ce sera la course sans fin au moins-disant social et à la mort de notre modèle social.
La compétitivité est un élément constitutif du corpus idéologique de l’ultralibéralisme, qui porte en dogme que seule la compétitivité entre les hommes, entre les entreprises, entre les États est de nature à faire progresser l’humanité!
La compétitivité, c’est le résultat de la financiarisation de l’économie, avec les fonds de pension qui exigent une rentabilité immédiate et forte en jouant sur la masse salariale avec des baisses de salaires, avec des suppressions d’emplois.
La compétitivité, c’est aussi le résultat de la mondialisation, qui affirme que la concurrence doit être libre et non faussée alors même que cette règle est constamment bafouée par du dumping social, du dumping fiscal.
Là aussi, il faudra beaucoup de courage politique pour s’attaquer à ces trois piliers de la compétitivité si l’on veut véritablement sauver les emplois industriels, lutter contre le chômage. Sauf à baisser le pouvoir d’achat, l’augmentation de la TVA n’aura pas grande incidence sur l’emploi.
L’impôt sur le revenu n’est pas prélevé à la source comme en Allemagne ou en Belgique, un symbole de plus de notre archaïsme légendaire… ou l’exemple même de la fausse bonne idée?
Il faut tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues. Tout d’abord, on doit affirmer que la retenue à la source ne supprime pas l’obligation de faire des déclarations d’impôt annuelles pour régulariser les prélèvements, pour tenir compte de l’existence de revenus autres que salariaux, pour prendre en compte les déductions possibles.
De plus, l’existence du quotient conjugal et familial se trouve posée, avec tout ce que cela comporte sur les choix de la politique familiale et nataliste. Cela privatiserait le recouvrement de l’impôt en transformant les employeurs en percepteurs tout comme pour la TVA, impôt le plus fraudé et le plus difficilement recouvré.
Cela risque donc de se traduire par de la fraude au niveau des employeurs, par des non-reversements suite à cessation d’activité, suite à faillite. Cela sera plus compliqué pour les contribuables qui auront plusieurs employeurs, qui verront leurs revenus baisser ou augmenter.
Pour l’administration, cela se traduira par une charge de travail supplémentaire avec l’obligation de contrôler davantage des millions d’employeurs, avec l’obligation de répondre plus souvent aux besoins d’ajustement du taux de prélèvement qui seront demandés par les contribuables.
Aujourd’hui, avec ses quelques centres d’encaissement interrégionaux, l’administration emploie très peu d’agents dans la mesure où trois quarts des contribuables sont mensualisés. Il faudrait donc créer des emplois.
Enfin, seuls les salariés et les retraités qui sont déclarés par des tiers seront concernés, ce qui pose le problème de constitutionnalité au regard de l’égalité de traitement du citoyen devant l’impôt.
Rappeler que celui qui vole l’Etat vole les pauvres
La fraude et l’évasion fiscales amputeraient les recettes de l’État de 80 milliards d’euros, soit l’équivalent de 15% du budget. L’arsenal antifraude est-il à la hauteur du manque à gagner?
Quelque 4,5 millions d’entreprises assujetties à la TVA, 51.000 vérifications fiscales par an, qui rapportent 16 milliards de droits et pénalités.
Ces chiffres sont parlants et démontrent qu’avec un peu plus de moyens juridiques et de moyens en personnels, les emplois aux finances sont budgétairement rentables et socialement utiles, comme disait il y a longtemps Fabius, ministre du Budget. Toujours rappeler que celui qui vole l’État vole les pauvres.
L’affaire Bettencourt avait rendu concrètes et visibles les injustices du bouclier fiscal. Aujourd’hui, l’affaire Cahuzac donne une image concrète de la réalité de la fraude fiscale.
Après avoir sciemment refusé de donner les moyens humains et juridiques pour lutter contre les paradis fiscaux qui existent depuis des décennies, après avoir mis en place tous les outils pour frauder le fisc, non seulement en France, mais dans tous les États, les idéologues de l’ultralibéralisme osent tout, avec aujourd’hui ce nouveau slogan:
«S’il existe des paradis fiscaux, c’est parce qu’il existe des enfers fiscaux, et la France en est un!» L’existence ancienne des paradis fiscaux n’est pas directement liée au niveau des prélèvements du pays, mais elle est essentiellement voulue pour satisfaire l’intérêt cupide de quelques-uns.
Une caricature médiatique cherche à s’imposer, celle du retraité nanti qui s’est gavé pendant les Trente Glorieuses et qui s’accrocherait à ses privilèges fiscaux.
Pendant les Trente Glorieuses, il a quand même fallu attendre mai et juin 68 pour doubler le smic! La richesse produite aujourd’hui est trente fois supérieure à celle des années 1960, il s’agit donc bien de rechercher qui sont les véritables privilégiés, et ce n’est pas du côté des retraités qu’il faut se tourner…
Des retraités qui servent très souvent d’amortisseur social en ayant la charge des enfants avec les études, le chômage, avec également et de plus en plus souvent en même temps des parents très âgés.
La Fédération générale des retraités de la Fonction publique (FGR-FP) rappelle que, au niveau de la richesse accumulée et mal redistribuée, si le patrimoine net moyen des ménages est de 220000€, le patrimoine brut des plus riches est de 552000€, et surtout que les 10% les plus riches détiennent près de 50% du patrimoine de l’ensemble des ménages.
Les millions de retraités salariés ne font pas partie de ces 10%.
Quant à l’abattement de 10% dont «bénéficient» les retraités, il ne s’agit absolument pas de frais professionnels.
Cela résulte de l’histoire des différentes lois de finances, qui ont toujours considéré depuis 1975 que les retraités ayant été déclarés et continuant d’être déclarés par des tiers, ils n’ont jamais participé à la fraude fiscale et que cet abattement leur a été accordé en contrepartie de cela et aussi en contrepartie des avantages qui ont été accordés aux professions commerciales et libérales.
Propos recueillis par Charb
http://www.charliehebdo.fr/news/reforme-fiscale-gauche-816.html