Ministère de l’Intérieur : dix millions en liquide pour les enquêtes
Oui, de l’argent circule Place Beauvau. Par millions. Ces sommes sont affectées à la recherche du renseignement et à la gratification des personnels.
Vingt à vingt-cinq mille euros de factures payées en liquide pour des « achats de la vie courante » comme « de l’électroménager »! Au regard du demi-million d’euros dont la trace du versement en 2008 a été retrouvée sur le relevé de compte bancaire de Claude Guéant lors d’une perquisition à son domicile, en février, la somme peut paraître ridicule.
Elle n’en a pas moins mis le feu aux poudres dans un ministère où les questions d’argent liquide restent sensibles.
Le malaise a grandi au fur et à mesure des interventions médiatiques que l’ancien ministre de l’Intérieur a multipliées pour tenter de se justifier depuis les révélations du Canard enchaîné.
S’agissait-il de primes de cabinet réglées en espèces (3.000 à 5.000 euros mensuels)? Soit, mais alors le système aurait dû s’arrêter en 2002 après la directive du Premier ministre Jospin. Ont-elles perduré à l’Intérieur jusqu’en 2006 ? Oui, mais au profit de 400 personnes dans un cadre « dont le régime fiscal n’était pas défini » (interview au Monde) ou de milliers de fonctionnaires (intervention sur France 2)?
Problème : à part Guéant, personne (Rachida Dati, Chantal Jouanno…) dans les cabinets qui se sont succédé ne semble se souvenir avoir touché ces primes en espèces. Et si elles concernaient des milliers de personnes, il ne peut s’agir que des « frais d’enquête et de surveillance » qui ne sont pas destinés aux membres des cabinets.
C’est sur l’usage de ces frais d’enquête, au cours de la dernière décennie, que Manuel Valls, l’actuel locataire de la Place Beauvau, a demandé des éclaircissements à l’Inspection générale de l’administration et à celle de la police nationale
. Pour l’année 2013, la ligne budgétaire se monte, selon la Place Beauvau, à 9,7 millions d’euros, en baisse de 5 à 6% par rapport à 2012. Mis à part des sommes débloquées par Matignon ou l’Élysée pour des missions spéciales, telles que la traque d’Yvan Colonna en son temps, ce serait le seul argent liquide en circulation aujourd’hui à l’Intérieur.
Gérés par le directeur général de la police nationale, ces millions en liquide sont répartis – en fonction de l’activité des services mais le plus souvent par simple reconduction des exercices précédents – entre les différents directeurs de la police nationale : police judiciaire, sécurité publique, renseignement intérieur, police aux frontières, CRS…
« Mettre de l’huile dans les rouages »
À quoi sert cet argent? Selon le communiqué du ministère, à « rechercher du renseignement, rémunérer des informateurs ou financer certaines investigations ».
Si le paiement des indicateurs (2.400 sont officiellement recensés par le service interministériel d’assistance technique) apparaît encadré, le reste est à la discrétion des « tauliers » et sert, selon la formule consacrée, à « mettre de l’huile dans les rouages »
. À commencer par la gratification des personnels en cas de « belle affaire » réussie. « Avant, c’était assez régulier, commente un chef de service.
Mais aujourd’hui, si les gars en touchent 3 ou 4 dans l’année, c’est le bout du monde, et ça ne dépasse pas 100 euros par personne. » Avec d’inévitables jalousies à la clé : « Si t’es bien vu, ça grimpe à 50-100 euros. Sinon, c’est un billet de 20″, déplore un enquêteur de terrain.
Tous les fonctionnaires interrogés par le JDD confirment que les choses se sont « assainies » avec l’instauration d’allocations de service, d’indemnités de responsabilité, de primes au mérite… Les frais de mission sont remboursés par chèque ou virement. « Mais il y a des endroits où il vaut mieux ne pas payer avec sa carte bancaire et demander une note », insiste un flic de la PJ.
« Ces frais d’enquête sont indispensables quand vous demandez à des gars de planquer des jours dans des coins pas possibles ou de rester des semaines loin de chez eux », ajoute un commissaire.
Désormais silencieux, Claude Guéant réserve ses explications aux juges Tournaire et Grouman, en charge de l’information judiciaire ouverte contre X sur fond de soupçon de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par la Libye. Les services fiscaux pourraient, aussi, vouloir l’entendre.
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