Y’en a marre des magouilles et surtout des mensonges
Posté par ippolito le 13 mai 2013
L’affaire Guéant : flic ou voyou ?
Les interrogations se multiplient devant les explications confuses de l’ancien ministre de l’Intérieur pour justifier un important versement sur son compte bancaire et des factures réglées en liquide. En filigrane, le financement illicite de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Claude Guéant est-il ce grand commis de l’Etat que le chœur des journalistes décrit, depuis une décennie, droit, honnête, voire austère ?
Ou bien un vaurien devenu successivement directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, secrétaire général de l’Elysée, puis ministre de l’Intérieur ?
Depuis les révélations du Canard enchaîné, et surtout depuis les dénégations maladroites de l’intéressé, c’est bien ainsi que la question se pose désormais : flic ou voyou ? Nouveau Cahuzac ou haut fonctionnaire à la morale irréprochable ?
Bien évidemment, Claude Guéant bénéficie, cela va de soi, de la présomption d’innocence. D’autant qu’à l’heure où nous parlons, il n’a même pas été entendu par les juges, que l’enquête n’en est qu’au stade de l’information judiciaire. Il n’empêche, dans son affaire, rien ne tient…
UN TÉMOIGNAGE ET DES TROUVAILLES
Le 19 avril 2013, une information judiciaire est ouverte pour « corruption active et passive », « trafic d’influence », « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « blanchiment, complicité et recel de ces délits ».
Une instruction déclenchée par le témoignage de l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine qui, en décembre dernier, affirmait détenir les preuves d’un financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Dans le cadre de cette instruction, les juges Serge Tournaire et René Grouman ont procédé à une perquisition au domicile de Claude Guéant. Entre autres trouvailles, ils ont découvert le versement sur son compte bancaire d’une somme de 500 000 € en provenance de l’étranger, mais aussi une série de factures payées en liquide.
Claude Guéant justifie les 500 000 € par la vente, en 2008, à « un avocat étranger » – malaisien, selon nos informations – de deux tableaux (30 x 60 cm) d’un peintre flamand du XVIIe siècle, Andries Van Eertvelt (1590-1652).
D’ailleurs, dit-il, « le jour de la perquisition, j’ai demandé au juge d’inscrire au procès-verbal que je disposais bien des pièces justificatives de cette vente ».
Partons de l’hypothèse que Guéant n’est pas Cahuzac et que l’argent provient bien de cette vente. Problème : la cote moyenne de l’artiste flamand en question, selon la société Artprice, numéro un mondial des données sur le marché de l’art, n’excède pas 41 000 €.
En réalité, la plupart de ses œuvres se vendent sur le marché à moins de… 10 000 €. Seuls quelques rares tableaux, mais de grande dimension, ont dépassé 100 000 €. Peut-être l’ancien locataire de la Place Beauvau est-il un as des (bonnes) affaires picturales…
Les magistrats, eux, s’interrogent : et si cet argent provenait d’un autre expéditeur moins recommandable. Et si la vente de ces tableaux avait servi à blanchir de l’argent douteux ?
Interrogé sur Canal +, Claude Guéant s’est défendu : « Je n’ai jamais rien blanchi, je ne sais pas comment on fait. » Il a dû oublier qu’en mai 2011, à la suite d’un G8 élargi, notamment consacré aux paradis fiscaux et au blanchiment d’argent, il tenait une conférence de presse sur ce sujet…
Néanmoins, une question vient aussitôt à l’esprit : si l’origine de ces 500 000 € n’est pas nette, pourquoi les avoir fait verser sur son compte personnel et non pas, comme le font tous les experts en blanchiment, sur un compte off-shore aux îles Caïmans, à Singapour, ou même en Suisse, comme cela semble être l’usage ? Bizarre. A moins de considérer qu’à partir d’un certain niveau de pouvoir certains croient agir en toute impunité.
Claude Guéant justifie ensuite les factures payées en espèces – une dizaine, dit-il, pour une valeur globale « de 20 000 à 25 000 € » – par la perception de primes versées en liquide à l’époque où il était au cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, de 2002 à 2004, puis de 2005 à 2007.
Là encore se pose un problème : le versement de ces primes de cabinet, tirées sur les fonds secrets du gouvernement, a cessé sous Lionel Jospin, en 2002. « Faux », rétorque Guéant, elles ont perduré au ministère de l’Intérieur jusqu’en 2006. Elles profitaient à « des milliers » de fonctionnaires !
« Mensonge », affirme l’ex-ministre UMP Roselyne Bachelot, mais aussi le socialiste Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, et même Laurent Berger, le nouveau secrétaire général de la CFDT, scandalisé que l’ancien premier flic de France puisse ainsi « salir » l’ensemble des fonctionnaires de police.
Soit Claude Guéant ment sur la provenance de cet argent ; soit il dit vrai. Mais, s’il dit vrai, alors il vient de procéder à la plus grande dénonciation de fraude fiscale de la Ve République.
Car, si ces sommes reçues en espèces, secrètes par définition, sont dépensées en liquide, c’est justement pour ne pas les déclarer au fisc. Autrement dit, Claude Guéant vient, d’une certaine manière, de se déclarer lui-même délinquant fiscal.
LE FONDS DES INDICS
Guéant soutient la France forte de Nicolas Srkozy – VELAINE EN HAYE
Selon deux sources (gouvernementale et policière) que Marianne a contactées, Claude Guéant fait sans doute référence à un fonds spécifique, propre au ministère de l’Intérieur, qui a vocation à payer des frais d’enquêtes et, notamment, à rémunérer en espèces certains indics.
« Mais en tout état de cause, nous ont détaillé ces deux sources, cet argent n’est en aucun cas destiné aux membres du cabinet du ministre. Il est placé sous la responsabilité du directeur général de la police nationale, distribué à des fonctionnaires de police qui, ensuite, le reversent à leurs informateurs. »
Si ces fonds ont servi à verser des primes à M. Guéant, on serait alors en présence non pas seulement de fraude fiscale, mais d’un détournement de fonds publics. Mais pourquoi Claude Guéant prendrait-il le risque de s’accuser publiquement de faits aussi graves ? Pour dissimuler pire ? Pour protéger qui ? Décidément, dans cette affaire Guéant, rien ne semble tenir la route.
Qui, à l’époque des faits (2002-2007), occupait le poste de directeur général de la police nationale ? Michel Gaudin, l’actuel directeur du cabinet de l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy. Nul doute que les magistrats instructeurs chercheront à connaître la provenance de ces sommes en liquide.
Si Claude Guéant persiste à expliquer qu’elles émanent de ce fonds spécifique de la police, alors ils convoqueront Michel Gaudin pour mieux comprendre le processus. Or, selon nos informations, Nicolas Sarkozy a fait cesser le versement de ces primes en liquide pour les remplacer par des virements bancaires (environ 5 millions d’euros par an) en 2003, et non en 2006. Des virements dûment mentionnés sur les fiches de paie…
ENRICHISSEMENT ?
Reste le cœur nucléaire de cette affaire : le présumé financement illicite de la campagne de Sarkozy en 2007.
Les enquêteurs pistent l’argent libyen. Dans l’affaire Bettencourt aussi, les magistrats cherchaient à remonter la piste du financement politique illicite.
Sauf que, dans ce dossier, les faits étaient prescrits. D’où la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour… « abus de faiblesse ».
Mais, compte tenu de l’énormité des sommes évoquées – 4 millions d’euros en liquide dans l’affaire Bettencourt, 50 millions d’euros dans le cadre du financement libyen -, les magistrats se demandent si, au-delà du financement politique, il n’y a pas eu aussi de l’enrichissement personnel.
Sinon, comment expliquer que les juges s’intéressent au compte bancaire personnel de Claude Guéant, et même à ses factures ?
L’ex-secrétaire général de l’Elysée, lui, est formel : « Jamais je n’ai vu l’argent libyen circuler, ni pour la campagne ni pour quiconque, et je n’en ai même jamais entendu parler. Cela doit être clair. »
Clair, c’est le bon mot. Pour l’heure, rien n’est… clair.
Article paru dans le Magazine Marianne en kiosques du 4 au 10 mai
http://www.marianne.net/L-affaire-Gueant%C2%A0-flic-ou-voyou%C2%A0_a228596.html
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