Energies renouvelables : «Un mauvais pilotage de l’Etat»
Après la remise par la Cour des comptes d’un rapport critique sur les énergies alternatives, le représentant du secteur, Jean-Louis Bal, appelle notamment à une refonte du cadre tarifaire du photovoltaïque.
Pour les partisans de la transition écologique, le diagnostic est dur à avaler. Dans un rapport présenté ce jeudi, la Cour des Comptes estime que les objectifs de la France en matière d’énergies renouvelables d’ici 2020 seront «difficiles à atteindre», et la facture supérieure à «ce qui est habituellement imaginé».
Selon l’institution, la politique de soutien public aux énergies alternatives a représenté 14,3 milliards d’euros pour le contribuable et le consommateur entre 2005 et 2011, période sur laquelle la part de ces énergies est passée de 10,3% à 13,1%. Un effort «six à sept fois» supérieur reste donc à réaliser pour atteindre l’objectif de 23% en 2020.
Président du syndicat des énergies renouvelables (SER), qui regroupe plus de 400 entreprises du secteur, Jean-Louis Bal (photo Jean Chiscano) met en cause le mauvais encadrement du secteur par l’Etat, et juge que «la balle est dans le camp du politique».
Le constat établi par la Cour des comptes sur la politique de développement des énergies renouvelables en France vous paraît-il juste ?
Globalement, oui. Il y a beaucoup de constats que nous partageons. La Cour des comptes ne remet pas en cause l’objectif que s’est fixé la France, à savoir une part de 23% d’énergies renouvelables (ENR) dans la consommation finale d’énergie en 2020.
Mais elle constate, comme nous, que pour y parvenir, nous ne sommes pas partis sur la bonne trajectoire. Elle insiste aussi sur le fait qu’il faut renforcer le pilotage des aides par l’Etat, mieux organiser l’administration et simplifier l’encadrement juridique, choses que nous partageons. Et elle dit qu’il ne faut pas sacrifier la recherche aux économies budgétaires.
Nous approuvons totalement, en insistant bien sur le fait que cette recherche doit être la plus proche possible du marché, elle doit s’orienter vers des développements concrets. Je constate aussi avec satisfaction que la Cour préconise un renforcement du fonds chaleur, qui est extrêmement efficace.
La Cour critique le coût des aides publiques aux renouvelables, notamment pour le solaire photovoltaïque…
J’ai peur que les médias ne retiennent que le fait que les énergies renouvelables pourraient coûter 40 milliards d’euros au consommateur d’ici 2020.
Sans remettre en cause les évaluations de ce rapport concernant les coûts du développement des énergies renouvelables, il faut également mettre en face les nombreux bénéfices que nous pourrions en tirer : 225 000 emplois, des filières industrielles exportatrices, 20 millions de tonnes de CO2 évitées et réduction du déficit de la balance commerciale de 3,4 milliards d’euros, soit 5% du déficit actuel.
Alors certes, le solaire photovoltaïque a représenté près des deux tiers de la part des ENR dans la CSPE [Contribution au service public de l’électricité, une taxe incluse dans la facture d’électricité, ndlr] dévolue aux énergies renouvelables.
Mais je rappelle qu’il y a là-dedans deux milliards d’euros par an qui sont des coûts du passé. C’est l’effet d’un mauvais pilotage de l’Etat, qui a mis en place en 2006 des tarifs élevés pour l’électricité, puis n’a pas vu venir la baisse des prix, a laissé une bulle se former et a ensuite réagi en 2010 de manière trop brutale, ce qui a entraîné la perte de 14 000 emplois.
On ne peut pas se projeter dans l’avenir en se basant sur les coûts du passé. C’est méconnaître les progrès spectaculaires réalisés dans la filière photovoltaïque : division par trois en cinq ans.
Le gendarme des finances publiques souligne aussi que les retombées économiques de ces investissements publics restent insuffisantes.
Les professionnels des énergies renouvelables sont soucieux de maximiser les retombées économiques pour le pays. Si on ne crée pas assez d’emplois, notamment industriels, c’est parce qu’ il y a eu un déficit de politique de soutien à l’offre préalable au lancement des filières.
Regardez dans le photovoltaïque : on a développé la demande au lieu de développer l’offre. Résultat, on a importé des panneaux chinois. Le constat chiffré est incontestable. Mais la Cour dit que les énergies renouvelables souffrent autant d’un problème d’organisation et de cadre juridique que de financement. L’Etat est mis en cause dans cette histoire.
Dans un pays aussi rationnel que la France, je n’arrive pas à expliquer pourquoi, en regard de l’argent qu’on a mis et qu’on va encore y mettre, nous ne sommes pas arrivés à créer des filières industrielles.
Ce qu’on a réussi à amorcer sur l’éolien offshore, avec notamment Alstom et Areva, et qu’on commence à amorcer sur les énergies marines, on doit pouvoir le faire sur les autres énergies. L’INES [Institut national de l’énergie solaire, CEA] et l’IRDEP [Institut de recherche et développement sur l’énergie photovoltaïque, EDF et CNRS] sont parmi les meilleurs instituts de recherche au monde dans leur domaine. Il n’y a aucune raison qu’on n’arrive pas à monter une filière.
Le SER va propose en septembre un plan de relance des énergies renouvelables. Quel sera en gros son contenu ?
A priori, nos recommandations seront compatibles avec celles de la Cour des comptes, dont aucune ne me semble irrationnelle. Même si je réserve ma réponse définitive à la lecture attentive du rapport.
Nous allons proposer une simplification du cadre administratif. Nous aimerions notamment que pour mener un projet éolien, on parvienne aux mêmes délais qu’en Allemagne, c’est-à-dire trois à quatre ans maximum, y compris en tenant compte des recours des antiéoliens. Nous allons aussi proposer une refonte du cadre tarifaire du photovoltaïque.
Notamment via un système de soutien à l’autoconsommation, qui est la voie d’avenir car elle permettra de ne pas renvoyer sur le réseau et à longue distance l’électricité produite et donc de faire baisser l’impact sur la CSPE au fil des années.
Qu’attendez-vous de la conférence environnementale de fin septembre ?
L’énergie ne sera pas le sujet principal de la conférence environnementale. Il y aura cependant la présentation des conclusions du débat sur la transition énergétique.
L’enjeu, désormais, c’est le projet de loi qui doit être présenté par le gouvernement à l’automne. La balle est dans le camp du politique. Le ministre de l’Ecologie, Philippe Martin, l’a dit clairement. Il va me recevoir à la rentrée, j’ai bon espoir d’être entendu sur nos recommandations de plan de relance des énergies renouvelables.
Par CORALIE SCHAUB
http://www.liberation.fr/economie/2013/07/25/energies-renouvelables-un-mauvais-pilotage-de-l-etat_920801