Y’en a marre du Luxembourg et surtout de toutes les magouilles et scandales politiques
Posté par ippolito le 11 août 2013
Le tour-opérateur de l’argent sale au Luxembourg
Le Luxembourg, son grand-duc, ses banques: ce confetti européen servant de lessiveuse à fric est impliqué dans toutes les affaires qui font scandale. De Tapie à Karachi, en passant par les délocalisations fiscales d’Arthur ou de LVMH, tout transite par ses remparts moyenâgeux et ses maisons discrètes. Suivez le guide.
Eva Joly, pendant la campagne présidentielle de 2012, avait organisé un «Sarkotour» très médiatisé afin de dénoncer l’affairisme du quinquennat qui s’achevait: une étape à Neuilly, où l’ancien maire avait acheté un appartement avec du fric à l’origine mystérieuse, une autre en face de chez Liliane Bettencourt, soulignant son rôle supposé dans le scandale entourant l’héritière de L’Oréal. La virée s’était terminée devant le Fouquet’s, on sait tous pourquoi.
À Luxembourg, capitale du micro-État du même nom, le tour est éclectique. Ici, scandales judiciaires, blanchiment d’argent et optimisation fiscale, le nouveau mot à la mode, concernent autant des politiques — de tous bords — que des patrons voyous ou des mafieux de tout poil. Ces prédateurs ont un point commun: ils utilisent les facilités du Luxembourg pour leur argent sale, les mêmes banques, avocats, notaires, fiduciaires…
Toutes les grandes affaires (Elf, Falcone, Guérini à Marseille et tant d’autres) font obligatoirement un détour par là, tous les dictateurs africains et les barons de la drogue y font transiter leurs fonds mal acquis.
Récemment, c’est la justice du Guatemala qui a demandé aux Luxembourgeois le gel du fric planqué par l’ancien président Alfonso Portillo, en prison aujourd’hui pour détournement de fonds.
Mais, loin de la paperasse qui organise les fraudes et opacifie les mouvements d’argent, rien de tel que de visiter les lieux qui abritent ces petites et grandes vilenies, les lieux du crime en quelque sorte. Et les surprises ne tardent pas à se manifester…
BUCOLIQUE OPTIMISATION FISCALE
Autant commencer le périple dans le quartier piéton et touristique du centre-ville de Luxembourg. À côté des Brioche Dorée et autres boutiques à sandwiches qui font tache dans toutes les villes du monde, on trouve tout de même les boutiques Hermès et Cartier, qui rappellent qu’ici le PIB est l’un des plus hauts de la planète.
À quelques pas de là, voici la rue Beck, une petite voie piétonne où les touristes se mêlent aux employés de bureau pendant la pause-déjeuner. Tiens, sur une petite porte, à peine visible à côté du marchand de journaux et de cartes postales, figurent les étiquettes «AWPG» et «AW Equity».
Qui peut imaginer qu’à cette adresse anonyme, loin de l’opulente avenue Marceau, dans le triangle d’or parisien, où sont installés ses bureaux, notre Arthur national, l’animateur devenu homme d’affaires multimillionnaire, a déménagé ses sociétés?
Charlie l’avait raconté. Le 1er janvier 2013, son groupe est devenu luxembourgeois. Au passage, l’opération lui avait permis de sortir de France une somme de 149 millions d’euros,
sans débourser un centime.
Son avocate avait osé affirmer que les boîtes de son client «paient l’impôt sur les sociétés en France». Certains avaient cru la dame sur parole, sans se demander par quel miracle une société luxembourgeoise serait obligée de verser sa dîme au fisc français…
Seule la filiale tricolore devra payer des impôts, ce qui n’est pas exactement pareil! Mais la bâtisse ne peut sérieusement être le centre névralgique des activités multiformes d’Arthur, autant animateur de télé et de radio que producteur de films ou homme d’affaires donnant dans l’immobilier et les portails Internet. Rien d’illégal à cela, mais on dirait qu’Arthur a du mal à assumer son exil fiscal…
Non, la réalité est qu’à deux heures et quart de TGV de Paris le Luxembourg est un havre de paix pour les nécessiteux qui, préférant faire des économies plutôt que de souscrire à la richesse nationale, y ont emménagé, du moins sur le papier.
La liste des avantages fiscaux est longue comme deux bras, des exonérations sur les dividendes des sociétés aux droits de succession très allégés, tout comme les impôts sur les sociétés, sans oublier une «grande souplesse», explique la chambre de commerce de ce paradis fiscal, pour les :«achats de voitures de luxe par les sociétés»:
les politiques locaux, souvent eux-mêmes avocats ou fiscalistes, ont mis au point mille et une ficelles pour attirer sur leur sol ceux à qui le fait de payer des impôts donne des boutons.
Ce n’est pas pour rien si ce minuscule bout de terre coincé entre la France, la Belgique et l’Allemagne (sa superficie ne dépasse pas les 2 580 kilomètres carrés) dispose de 2 200 milliards d’euros de fonds placés dans ses caisses. Comme le claironne la chambre de commerce, 46% du PIB du pays dépend de son rôle de place financière.
Certes, il n’y a «que» 155 banques au Luxembourg, soit deux fois moins qu’en Suisse, mais le territoire est tout de même 16 fois plus petit que celui de la Confédération helvétique…
DU FRIC, MAIS EN TOUTE DISCRÉTION
De tout cela, on ne voit rien quand on parcourt, en bon touriste, la place d’Armes, quand on se promène aux abords de la cathédrale, où s’est marié en 2012 l’héritier du grand-duché, pour le plus grand bonheur des marchands du temple.
En descendant dans la ville Basse, où l’on croirait débarquer dans un petit village paisible, avec sa rivière, ses pavés et son ancienne abbaye reconvertie en centre culturel, on n’imagine pas non plus être au coeur de la lessiveuse: c’est pourtant ici que se trouve la base européenne d’Amazon.
Oui, le géant de la vente en ligne a installé rue Plaetis un holding qui lui permet d’échapper à la TVA française — et également aux taxes des voisins européens. Nichée dans un petit immeuble jaune au toit d’ardoise, au bord de l’Alzette, Amazon.eu a, comme l’a décrit le rapport sur la fiscalité de l’économie numérique rédigé à la demande du gouvernement en janvier 2013, mis au point une «organisation juridique» intégrant «d’emblée l’objectif de minimiser le taux effectif d’imposition», tout comme les autres Google ou Facebook.
Pour des revenus dans l’Hexagone approchant le milliard d’euros, Amazon ne verse en France que «4 millions en moyenne par an» de TVA, contre plusieurs dizaines de millions au bas mot si le régime fiscal français lui était appliqué.
Chaque fois qu’un Français achète un livre ou un disque sur Amazon, cette société ne reverse que 3 % de TVA, alors qu’elle devrait s’acquitter en France de 7% par livre et de 19,6% par disque…
En remontant dans la ville Haute, après avoir franchi la ceinture de verdure qui longe les remparts moyenâgeux et surplombe un improbable lopin de terre cultivé en pleine ville, on se retrouve dans une rue tranquille, la rue Goethe.
Voici un immeuble d’allure quelconque: la résidence Bourbon. Dans ces locaux ressemblant plus à une maison de retraite qu’au siège d’une enseigne du luxe, comportant une sortie discrète dans une rue derrière, ont été logées une kyrielle de sociétés du groupe de Bernard Arnault, le numéro un mondial du luxe, LVMH, qui, comme son patron, apprécie l’optimisation fiscale.
Mais si quelques plaques — Renaissance 1849, Blue Participations et Gestion, SFC, etc. — annonçant certaines de ses boîtes sont apposées à l’entrée, nulle part ne figure le logo du groupe, et encore moins celui qui orne les sacs maronnasses qui ont fait sa renommée.
D’autres structures ont été créées à deux autres adresses, à quelques jets de pierre de là, qui, elles aussi, ne figurent pas dans les documents officiels du groupe, sauf dans les comptes consolidés de l’une des holdings ; il faut vraiment fouiner pour les trouver…
C’est notamment par Luxembourg que les sociétés d’Arnault sont montées discrètement au capital d’Hermès sans que le groupe concurrent détecte la manip. Comme quoi, l’anonymat des actionnaires et des ayants droit économiques, un véritable acquis national, peut servir tous les desseins, de la regrettable mais légale optimisation fiscale à la délinquance en col blanc.
Qu’en est-il de l’anonymat des détenteurs de comptes bancaires? Dans l’artère qui coupe la «rue LVMH» s’est installée une filiale de la banque Reyl, le fameux établissement suisse dans lequel Jérôme Cahuzac avait planqué son fric et auquel le juge Van Ruymbeke cherche des noises, subodorant que de l’évasion fiscale a pu y être pratiquée par des Français.
Au quatrième étage d’un immeuble rose de l’avenue de la Liberté, en face d’un magasin de matériel électrique, Reyl a installé des bureaux et vient même de créer une nouvelle structure, le 5 avril dernier: Reyl Asset Management, une société de gestion de fortunes.
On trouve également à cette adresse des sociétés créées par la banque à la fin des années 2000 pour le compte de certains clients, tel l’homme d’affaires Alexandre Allard, un proche du Qatar qui souhaitait racheter l’hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris.
Allard n’apparaît pas dans les papiers officiels, contrairement à l’un des représentants de Reyl à l’époque, Pierre Condamin-Gerbier, l’ancien banquier qui fit des révélations à la justice française et dort aujourd’hui en prison à Genève. L’immeuble à la façade travaillée, arborant colonnades et festons, abriterait quelques évadés fiscaux, l’on ne serait pas surpris outre mesure…
RUE DE LA CORRUPTION
Le Luxembourg préserve toujours son secret bancaire, mais pour combien de temps encore? Le fisc et le Trésor américains ont lancé à pleine puissance une redoutable machine de guerre contre la fraude fiscale qui, sous le nom incompréhensible de Fatca (Foreign Account Tax Compliance Act), obligera toutes les banques de la planète — et même au Luxembourg — à déclarer les titulaires des comptes de résidents fiscaux des États-Unis et les mouvements de fonds opérés sur ces comptes. Seuls, jusqu’à présent, le Luxembourg et l’Autriche s’étaient exonérés de cette obligation.
À quelques mètres de chez Reyl, au coin de l’avenue de la Liberté, se trouve la rue Heinrich Heine. Le nom de cet écrivain allemand ne dit pas grand-chose à la majorité des passants, mais ce n’est pas le cas des connaisseurs des ventes d’armes et de l’affaire Karachi. Heine n’est autre que le nom de la société-écran utilisée pendant des années par DCNS, le fabricant français de sous-marins, de frégates et autres bateaux militaires, pour verser des pots-de-vin.
L’avocat chargé de créer cette structure, René Faltz, a son cabinet dans cette rue, dans un immeuble en vieilles pierres, arborant une belle plaque au nom de l’étude. Alors ministre du Budget — on est entre 1993 et 1995 —, Nicolas Sarkozy aurait donné son accord, selon des témoins, à l’utilisation de ce discret pipeline à commissions ; du fric dont la justice soupçonne qu’il est en partie revenu en France afin de financer la campagne présidentielle d’Édouard Balladur.
Ce bon monsieur Faltz abrita un temps dans ses locaux cette coquille dont le propriétaire réel était une filiale du groupe d’armement appartenant alors à l’État français, et qui était gérée par un homme de confiance de la DCNS, Jean-Marie Boivin, chargé de payer les commissions aux Takieddine et autres…
Quand Boivin fut viré, tant s’était développée la crainte que remontent à la surface les secrets des commissions, il se rebella et exerça un véritable chantage sur l’État, écrivant à Chirac, alors président, à Sarkozy, à MAM et à d’autres, en réclamant 8 millions d’euros pour solde de tout compte. Maintenant qu’il est revenu au silence, on en déduit qu’il a dû être indemnisé…
De ses fenêtres, bien loin des remugles de l’affaire, Faltz peut contempler l’une des gloires luxembourgeoises, Arcelor, dont le siège occupe un palais photographié par les touristes en goguette.
Passant par la tranquille place du Théâtre, une fois revenu dans le centre, le touriste pourra contempler l’immeuble blanc qui, audessus d’un magasin d’articles de sport, abrite depuis 2011 la fameuse officine Heine, toujours en activité, au moins sur le papier. Ses mystères, eux, se sont dilués dans l’opacité du Luxembourg.
http://www.charliehebdo.fr/news/argent-sale-luxembourg-935.html
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