Inventaire de Sarkozy: ce que l’UMP n’osera jamais assumer pendant sa convention
Les seuls à avoir osé l’aborder de front ont d’ailleurs soit quitté l’UMP, abandonné la vie politique ou passé l’âge de devoir rendre des comptes. C’est donc à un bien timide droit d’inventaire sur le bilan des années Sarkozy que l’UMP va se livrer ce jeudi 16 octobre.
Une demi-journée en l’absence de la quasi-totalité des ténors du parti, dont le principal intéressé: voilà la formule qu’a trouvée Jean-François Copé pour expédier le « débat sérieux et objectif » réclamé par un nombre croissant de cadres de l’UMP à l’heure où le retour de Nicolas Sarkozy s’impose comme une évidence.
Ces off que l’UMP n’assume pas
« Ce n’est en rien un inventaire, au pire, c’est une évaluation, au mieux une préparation », résume d’ailleurs pour l’AFP l’ultrasarkozyste Geoffroy Didier, cofondateur de la Droite forte. Alain Juppé, François Fillon, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Bruno Le Maire, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Pierre Raffarin ou François Baroin…
La liste des absents parle d’elle-même. D’autant qu’elle s’est étoffée des principales figures restées fidèles à Nicolas Sarkozy, dont Brice Hortefeux, Nadine Morano ou Christian Estrosi. Au final, seuls trois anciens ministres du « retraité » de la vie politique ont confirmé leur venue: Luc Chatel, Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie.
Sur le fond, l’exercice devrait rapidement tourner à la cérémonie de souvenir de l’ancien président, voire au contre-procès du quinquennat de… François Hollande. L’intitulé de la convention laisse d’ailleurs peu de place au doute: « l’avenir est entre vos mains. »
Les langues se délieront-elles à l’heure où Nicolas Sarkozy menace de représailles les esprits rebelles (lien payant)? Pour les y aider, Le HuffPost vous propose son propre inventaire des erreurs que la droite n’a jamais pardonné à l’ancien chef de l’Etat. Avec, en prime, les commentaires en off que les cadres de l’UMP ont tant de mal à assumer.
L’ATTITUDE BLING BLING: « Il ne s’en est jamais remis »
De la soirée au Fouquet’s au yacht de Vincent Bolloré en passant par les Ray-Ban et les Rolex pour finir sur les vacances au bras de Carla Bruni… Rarement première année de mandat aura autant écorné l’image de la fonction présidentielle version De Gaulle.
Ce que Jean-Pierre Raffarin nomme pudiquement, mais à visage découvert, « quelques faiblesses comportementales ». Le procès en bling-bling, « il ne s’en est jamais remis », confirme un ancien ministre filloniste. En effet, cette image de nouveau riche fasciné par l’argent a littéralement collé à la peau de l’ancien président tout au long de son quinquennat, en dépit de ses efforts pour « réendosser » le costume présidentiel.
Problème, depuis son départ à la retraite, Nicolas Sarkozy enchaîne les conférences grassement rémunérées pour des multinationales. « Les Français ne le lui pardonneront pas », prédit un député de l’UMP. Pessimiste sur ses chances de retour, celui-ci ironise: « il n’aura plus jamais l’occasion de donner une première impression ».
L’OUVERTURE: « Quand vous voulez faire plaisir à tout le monde, vous ne plaisez à personne »
Symbole du début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, l’ouverture de son gouvernement à des personnalités étiquetées à gauche devait annoncer une nouvelle ère politique. Patatras. Tous les ministres de gauche ont rejoint le bercail ou craché dans la soupe. Et la droite de l’UMP ne l’a jamais pardonné à Nicolas Sarkozy. « Je suis pour l’ouverture, y compris aux sarkozystes », avait osé Patrick Devedjian à l’époque.
Aujourd’hui, le ton n’a guère changé. « Le drame de l’UMP, c’est qu’elle est à droite avant les élections et au centre une fois au pouvoir. Personne ne comprend ce que nous a apporté l’ouverture », s’étrangle un député de l’aile droite du parti. Conclusion d’un ancien ministre: « Quand vous voulez faire plaisir à tout le monde, vous ne plaisez à personne ».
FISCALITÉ ET 35 HEURES: « Sarko n’est pas allé au bout de sa logique »
Loi Tepa votée mais mal expliquée, bouclier fiscal relevé puis supprimé, ISF et 35 heures maintenus… Les libéraux de l’UMP n’ont jamais digéré les va et vient de la politique fiscale sous le précédent quinquennat. Pour sa défense, Nicolas Sarkozy avait été élu en pleine croissance avant de devoir faire face à l’une des plus graves crises du siècle.
Mais « il n’a jamais été au bout de sa logique en supprimant purement et simplement les 35 heures », regrette un député filloniste. « On avait été élus pour baisser les impôts, pas les relever », se lamente encore un autre tout en insistant sur la hausse (relative) du pouvoir d’achat en fin de quinquennat. D’autres énumèrent les chantiers laissés à l’abandon: le toilettage administratif escamoté, le système bancaire insuffisamment régulé, les normes industrielles jamais allégées… Si certains saluent « la réforme permanente » promue par l’ancien chef de l’Etat, la cacophonie législative a brouillé pour beaucoup le bilan du chef de l’Etat.
ENVIRONNEMENT: Le grand « malentendu » du Grenelle
Grenelle de l’Environnement, interdiction du gaz de schiste, bonus-malus… Si ce bilan environnemental est revendiqué par l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, parti depuis présider l’UDI, il a longtemps fait grincer des dents à droite. Au lendemain des européennes de 2009, au cours desquelles Europe-Ecologie avait fait une percée remarquable, certains ministres accusaient (sous couvert d’anonymat) la publicité faite à Nicolas Hulot pendant deux ans. « On légiférait sur l’environnement comme jamais et les Français votaient écolo », se souvient un ex-ministre avec une pointe d’aigreur.
Du coup, la taxe carbone imposée par Nicolas Sarkozy à sa propre majorité (il la comparait à l’abolition de la peine de mort, « une connerie » lâche un député UMP) a été sacrifiée. Mais l’agacement a perduré avec l’interdiction unilatérale de l’exploration du gaz de schiste. Dossier que plusieurs ténors de l’UMP aimeraient rouvrir en vue de 2017. A suivre.
LES MÉTHODES: « L’hyperprésidence » au pilori
L’inventaire des années Sarkozy, c’est aussi l’inventaire de ses méthodes, y compris avec ses plus proches collaborateurs. « Brutal » , « séducteur », « vulgaire », « affectif », « cassant », « énergique »… Les qualificatifs sont contrastés pour décrire le management de l’ancien chef de l’Etat, qui alternait compliments, insultes, réconciliations et brimades. Certains se souviennent encore des « savons » passés par le président, même si chacun lui reconnait une autorité incontestable pour mieux critiquer la « mollesse » de François Hollande. Des symptômes qui n’ont pas été sans conséquence sur le fonctionnement de l’Etat et des institutions.
« Hyperprésidence » est un mot qui s’est imposé dans la presse autant que dans les esprits à droite. Unanimement salué pour sa gestion de la crise (« il a tout géré tout seul », ose encore un député filloniste), l’ancien chef de l’Etat est bien plus critiqué sur sa vision du rôle des parlementaires, auxquels il a infligé une cadence infernale. « La concentration du pouvoir était excessive », reconnait de son côté Jean-Pierre Raffarin, ce qui a tué le débat interne, comme lors de ces petits-déjeuners à l’Elysée où le président faisait la leçon à des parlementaires muets.
L’autoritarisme de l’ancien président a également laissé des traces jusque dans l’UMP, où les clivages, étouffés par la chape de plomb, se sont radicalisés sous le précédent quinquennat. « A l’UMP, quand tu ne votais pas pour l’Europe, tu n’étais plus à l’UMP », regrette un député souverainiste qui salue l’ouverture des courants initiée par Jean-François Copé.
LES VALEURS: « Les âmes noires » de Sarkozy
Identité nationale, débat sur la laïcité, discours de Grenoble, remise en cause de Schengen… Qu’est-il advenu du Nicolas Sarkozy « petit Français de sang mêlé »? Les modérés et centristes de l’UMP ont rongé leur frein durant le quinquennat et pendant la campagne présidentielle. Rares sont ceux à s’exprimer ouvertement contre la droitisation entamée tambour battant à partir de 2008 par un chef de l’Etat en chute libre dans les sondages. Dans ses mémoires, Roselyne Bachelot s’en prend aux conseillers de l’ancien président, qu’elle qualifie d’ »âmes noires » qui ont orienté la campagne avec des « stratégies désespérées et désespérantes ».
Mais même en off, le sujet est encore tabou s’agissant de Nicolas Sarkozy. Un nom revient pourtant sans relâche, celui de Patrick Buisson, généralement associé à des qualificatifs peu flatteurs. Le conseiller de l’ombre, héritier du catholicisme maurassien, déchaîne les haines même si son influence incite à la prudence. Ex-porte-parole de Nicolas Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet est une des rares à droite à avoir attaqué l’ex- »gourou » du président, surnommé « gestapette ». Riposte sur la durée: la Droite forte a fait campagne contre elle à Paris et les mouvances d’extrême droite se sont déchaînées. Vraie question: si Sarkozy revient, gardera-t-il Buisson?
LA DÉFAITE: La « stratégie du clivage permanent »
Si ce n’est à cause des valeurs, pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il perdu en 2012? Tout le monde à l’UMP a un avis sur la question, rares sont ceux qui l’assument en public. Il y a la Droite populaire, aile droite de l’UMP, qui accuse Sarkozy d’avoir « gouverné au centre » en oubliant les classes populaires. Les centristes dénoncent unanimement (mais souvent en silence) la « stratégie du clivage permanent » qui n’a pas permis le rassemblement au second tour. Et puis il y a les sarkozystes, qui accusent tantôt la presse, tantôt le FN, tantôt Bayrou.
Mais c’est évidemment la « droitisation » du président qui hante les esprits, même si le mot est détesté à l’UMP. « Cette stratégie ne pouvait pas être victorieuse tant l’essence même de la fonction présidentielle est le rassemblement », a osé Jean-Pierre Raffarin. « On ne doit pas s’éloigner du pacte fondateur » de l’UMP, a renchéri François Baroin, pourtant hostile au droit d’inventaire. Même en off, les avis sont partagés: « Sans cette stratégie, Sarkozy se serait-il qualifié pour le second tour », s’interroge encore un élu de la Droite Populaire.
LES AFFAIRES: »Sarkozy risque encore beaucoup »
Libéré du poids de l’affaire Bettencourt, Nicolas Sarkozy n’est pas à l’abri des investigations en cours, notamment dans l’affaire Tapie-Lagarde. Si, officiellement, l’UMP s’est rangée comme un seul homme pour le soutenir, en privé, certains regrettent les risques pris par l’ancien chef de l’Etat. « Sarkozy risque encore beaucoup en terme d’image », prévient un cadre de l’UMP en pointant la « bombe Guéant ».
Mais les affaires pendant le quinquennat, ce sont aussi les nominations controversées de François Pérol, d’Henri Proglio. Et puis il y eut surtout le cataclysme de l’élection annoncée de Jean Sarkozy à la tête de l’Epad. Un traumatisme pour la droite qui avait fait de la méritocratie son mot d’ordre électoral. « On se faisait engueuler tous les jours » dans les circonscriptions, se souvient un député qui a pourtant serré les rangs derrière le chef de l’Etat. « L’exercice solitaire du pouvoir », constate gravement un ex-chiraquien en rappelant qu’à l’époque « Nicolas Sarkozy n’avait rien vu venir ».
SON HÉRITAGE: « Chacun veut un morceau de la croix du Christ »
Dernier reproche adressé à l’ancien chef de l’Etat, celui-ci n’a pas organisé sa succession. Pas de dauphin, pas de testament: juste un départ qui n’exclut pas un retour. Presque une tradition à droite où l’ancien monarque espère toujours ne jamais être remplacé de son vivant. « L’UMP est restée un parti bonapartiste où il faut que l’un tue l’autre », regrette une ancienne ministre, qui ne rejette toutefois pas la faute uniquement sur Sarkozy. Étouffer les rivalités, une obsession sous le précédent quinquennat. « Quand Fillon a voulu devenir président de la Commission, Sarkozy s’y est opposé, il ne voulait pas de rival », se souvient un ex-ministre proche de l’ancien premier ministre.
Faute de leader, l’UMP se débat encore avec son histoire. En témoigne la crise existentielle qui a suivi l’élection du président de l’UMP et l’incapacité de la droite à assumer son propre bilan et à proposer un nouveau programme. Reste un parti déboussolé, contraint à attendre l’hypothétique retour d’un Nicolas Sarkozy qui continue d’entretenir les habitudes de cour prises à l’Elysée. « Personne n’osait lui dire la vérité », se souvient un ancien ministre. A en croire un député, cela n’a pas changé: « Aujourd’hui encore, chacun veut un morceau de la croix du Christ. Y compris les Judas qui parlent derrière son dos ».
http://www.huffingtonpost.fr/2013/10/17/inventaire-sarkozy-ump-assumer-convention_n_4109669.html?utm_hp_ref=france