L’État accusé d’avoir bradé ses biens à Montpellier
Dans le collimateur, un site comprenant des logements utilisés pour les militaires et les gendarmes, à Montpellier. (CHRISTOPHE FORTIN)
Résorber les déficits publics ? D’accord, mais pas à n’importe quel prix, critique la Cour des comptes.
L’État dans la peau d’un vendeur trop impatient bradant ses biens dans un vide-greniers généralisé depuis 2006 ? C’est le reproche que lui fait aujourd’hui, au travers d’un référé, la Cour des comptes. Pour éponger les déficits publics, ces dernières années, la tentation fut grande de ne pas trop regarder à la recette. Autoroutes, immobilier, foncier… En tout, cinq milliards d’euros sont entrés dans les caisses de l’État depuis sept ans… Sur les 180 milliards de son patrimoine.
Deux exemples : l’un à Paris, l’autre à… Montpellier
Les magistrats de la Cour des comptes pointent un certain nombre d’opérations justifiant à leurs yeux « la nécessité de mieux préserver les intérêts de l’État ». Dans le collimateur, deux exemples concrets : l’un à Paris, l’autre à… Montpellier. Et à chaque fois un interlocuteur qui aurait fait « des acquisitions très avantageuses » : la SNI, Société nationale immobilière, premier bailleur de France.
L’École d’application d’infanterie (EAI) de Montpellier
Les juges relèvent que l’État a vendu, en 2009, des terrains sur dix hectares, à Montpellier, pour 8,45 M€. « Or, un jugement de la cour d’appel de juin 2012 dans une affaire d’expropriation a valorisé un terrain voisin à 450 €/m2, soit 4,5 M€ l’hectare », note la Cour.
La SNI gère notamment les logements des agents de l’État. Par bail emphytéotique – qui courait encore sur 40 ans -, elle s’occupait des immeubles d’habitation pour les militaires de l’École d’application d’infanterie (EAI) de Montpellier. Sur fond là aussi de déficit budgétaire, l’EAI a été fermée, sur le site du Parc Montcalm.
Et l’État s’est aussi débarrassé des logements, avenue de Lodève, sur un terrain a priori non constructible mais sur lequel l’armée avait eu le droit de construire. La SNI n’a fait qu’acheter ce qu’elle avait déjà en gestion.
« Tout le secteur est en zone boisée, classée », argumente Yves Chazelle, le directeur général de la SNI. Le site est à proximité directe du château de la Piscine, folie montpelliéraine de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Selon lui, la densité habitable est bien moindre que sur les terrains alentour. « Le rapport est de un à cinq », affirme-t-il. Et la zone classée interdit de faire des constructions supplémentaires. Pour l’instant, serait-on tenté de préciser, une modification du plan local d’urbanisme n’étant pas impossible.
« Dans la cession, nous avons obligation de conserver ces sites à usage de logement pendant quinze ans et il y a aussi une clause de retour au profit de l’État si nous faisions une plus-value », précise le directeur général. Il relativise l’argument selon lequel l’État se soit vraiment dépossédé : « Le groupe SNI est filiale à 100 % de la Caisse des dépôts et consignations, établissement public de l’État. »
Mais il insiste surtout sur le fait « que les logements ont été construits en 1957″. Pas de première jeunesse, donc, doit-on comprendre. Mais un rapide tour du – nouveau – propriétaire permet de nuancer. D’autres logements, réservés à des gendarmes le long de l’avenue de la Liberté, sont beaucoup plus récents. « 1997″, confirme Yves Chazelle, recontacté par Midi Libre. Ou l’art de minorer la valeur du bien. Tel est d’ailleurs, en substance, le reproche des magistrats de la Cour des comptes.
Grief : sans concurrence
La Cour des comptes, outre le prix d’achat, critique le mode de cession, de gré à gré, au lieu d’une mise en concurrence, « décision juridiquement contestable », estiment les magistrats. « Il est souhaitable de définir plus précisément les situations où l’État peut s’affranchir d’une procédure de mise en concurrence », précisent-ils, regrettant qu’en l’occurrence la SNI, déjà gestionnaire des lieux par bail emphytéotique, ait pu négocier tranquillement avec l’État.
DES SITES VENDUS DANS LA RÉGION ET EN AVEYRON
La Cour des comptes n’est pas allée chercher des poux dans la tête de l’État sur la vente de l’EAI elle-même, achetée par la Ville de Montpellier. Elle aurait pu… Les 35 hectares avaient été vendus 19 M€ en 2012, alors que l’Etat en espérait 26 M€. Mais il avait été sensible à la promesse de ne pas bétonner à outrance.
L’EAI avait été vendue pour 54 € le m2, moitié moins que la Bastide Niel, caserne bordelaise. Et six fois moins que la caserne de la Belle de Mai, à Marseille. Le maire, Hélène Mandroux, estime d’ailleurs que l’achat de l’EAI est « l’un des plus beaux coups du mandat ».
Et qu’en est-il des autres biens vendus depuis 2007 dans la région ?
L’État, contacté hier, n’a pas été en mesure d’établir pour Midi Libre une liste chiffrée en Languedoc-Roussillon. Les services préfectoraux aveyronnais ont été plus efficaces. Entre 2007 et 2013, les ventes y ont rapporté près d’1,7 M€ à l’État… Outre les cessions de parcelles de terre inutilisées à la fin des travaux de la RN 88, citons la vente d’un camping-vacances du ministère de la Défense à Villefranche-de-Panat ou quatre ventes d’immeubles à Rodez et Viviez, au profit de collectivités locales.
« Nous devons proposer ces ventes en priorité à la collectivité du lieu du bien, précise le responsable de la politique immobilière de l’État en Aveyron, Jean-Luc Canouet. Pour le reste, les cessions de gré à gré nous sont fortement déconseillées, surtout quand les biens sont au-delà d’une certaine somme. » Ce qui vaut en Aveyron n’a visiblement pas valu (lire ci-dessus) pour la SNI à Montpellier.
http://www.midilibre.fr/2014/01/08/l-etat-accuse-d-avoir-brade-ses-biens-a-montpellier,805753.php