Chômeurs au seuil de la retraite : ils vivent avec 480 euros par mois
Claudine, Gilles et Maria, au chômage en fin de droit, touchent une maigre allocation avant de pouvoir toucher leur retraite. Ils comptent les jours.
Claudine, Gilles et Maria espèrent que le gouvernement remettra en place une allocation qui leur permette de faire dignement la jonction entre la fin de leurs droits au chômage et le début de leur retraite. (Florence Durand – Sipa)
Ils sont nés entre 1953 et 1956 et ont commencé à travailler avant 18 ans. Ce qu’on appelle des « carrières longues ». Mais leurs parcours ont été brutalement interrompus par la crise et ces seniors sont devenus chômeurs. A quelques années de la retraite, leurs trimestres sont validés mais pas tous cotisés. Ils doivent attendre l’âge légal pour toucher leur pension de retraite.
Arrivés en fin de droits, comment vivent-ils ? Avec l’ASS (Allocation de solidarité spécifique), 483,3 euros. L’AER (Allocation équivalent retraite) de 1.030 euros mise en place sous Lionel Jospin en 2002 et à laquelle ils auraient pu prétendre, a été supprimée par le gouvernement Fillon en 2011. Remplacée par l’ATS (Allocation transitoire de solidarité) de Xavier Bertrand, bien plus restrictive. Le gouvernement Ayrault a bien tenté d’améliorer les choses en instituant une ATS de 1.030 euros en mars 2013, mais elle ne concerne que les générations nées en 1952 et 1953 et justifiant de tous leurs trimestres cotisés.
Laissant encore de nombreuses personnes avec moins de 500 euros pour survivre. Parmi elles, Claudine, Gilles et Maria. Avec le Collectif AER-ATS 2014, ils espèrent que le gouvernement remettra en place une allocation qui leur permette de faire dignement la jonction entre la fin de leurs droits au chômage et le début de leur retraite.
Claudine : « Sans mon frère, je deviendrais SDF »
Claudine a pris les devants. Elle a quitté sa Normandie natale où elle a toujours vécu pour se réfugier chez son frère, qui a accepté de l’héberger, en Corse. Elle aura 60 ans en juillet prochain. Elle était salariée dans l’immobilier, secteur que la crise n’a pas épargné. Au chômage depuis novembre 2010, elle devait arriver en fin de droits en novembre 2013. Mais, stressée, angoissée, elle a sombré dans la dépression au mois de septembre. Un accident a suivi. Un arrêt maladie qui a interrompu son chômage.
Aujourd’hui, elle touche 50% de son dernier salaire brut, soit 680 euros par mois. Quand cet arrêt va prendre fin, il lui restera donc « encore » deux mois de chômage. Et après ? A l’heure actuelle, elle ne rentre pas dans les critères pour bénéficier de l’ATS. Ce sera donc l’ASS :
483,30 euros par mois ! On vit comment avec ça ? Je suis déjà en galère ! Ce ne sera plus de la vie mais de la survie. »
Cette situation durera jusqu’à ce qu’elle ait atteint le nouvel âge légal de la retraite, 61 ans et sept mois. Il lui faudra donc tenir jusqu’en mars 2016, « sans coiffeur, sans un petit vêtement. Tout est fini ». Ce qu’elle redoute plus que tout, c’est la spirale, l’enchaînement des galères.
A 60 ans, on commence à avoir des bobos par-ci par-là. Comment fait-on sans mutuelle ? Il faut que je demande la CMU [Couverture maladie universelle, NDLR] ? Parce que comment je vais pouvoir avancer les frais ? »
Il y a aussi la peur de la dépendance. Claudine refuse d’embêter ses enfants âgés de 37 et 40 ans : « Ils ont leur vie. De toute façon, ma fille vit à l’étranger. » C’est donc son frère qui l’aidera. Sa planche de salut :
Si je ne l’avais pas, je deviendrais SDF. Mais je ne pense pas que c’est vraiment à lui de me loger, de me nourrir comme ça jusqu’en 2016… »
Claudine a commencé à bosser en octobre 1972, après son bac. Bien avant ses 20 ans donc. La nouvelle législation aurait pu lui permettre de demander une retraite anticipée pour carrière longue. Seulement voilà, pour cela, il faut avoir non seulement commencé à travailler avant 20 ans mais aussi totaliser 165 trimestres cotisés.
Et, comme en période de chômage, les trimestres sont validés mais non cotisés (seuls deux trimestres sont accordés), Claudine avait 180 trimestres validés mais seulement 155 cotisés au dernier relevé. « Comme en plus j’ai travaillé trois ans en profession libérale, comme agent général d’assurances, cette caisse de retraite ne prend pas en compte la première année en trimestres cotisés : j’ai donc encore perdu quatre trimestres. »
Reste une incertitude sur sa situation liée à son arrêt maladie. Qui, conjuguée à la peur de l’avenir, mine la sexagénaire : « La dernière fois que j’ai eu ma caisse de retraites, ils n’étaient même pas au courant de la nouvelle législation avec l’ATS… Je ne sais pas où ils en sont des calculs. Je n’arrive pas à connaître ma situation nette et précise. J’ai l’impression de sombrer. »
Gilles et Maria : « Une vie de travail pour en arriver là… »
Maria et Gilles, 59 ans et 60 ans, vivent avec 1.513,3 euros par mois. Petitement mais dignement : « Heureusement, nous sommes propriétaires de notre maison. On ne pourrait pas payer un loyer », confie Gilles. En cas de coup dur, c’est le bas de laine :
Pour le moment, on peut encore tirer sur ce qu’il nous reste d’économie quand il faut faire une réparation sur la voiture. »
Lorsqu’il s’est retrouvé au chômage en 2009, Gilles bénéficie de l’AER mise en place par Lionel Jospin et touche 1.030 euros mensuel. Le dernier licenciement de Maria a eu lieu en 2010. Ses droits au chômage ont pris fin en avril 2013. Plus d’AER, pas droit à l’ATS puisque née en 1955, elle reçoit ses 483,30 euros d’ASS chaque mois. Le couple a le sentiment de subir un arbitraire aussi absurde qu’injuste.
Ces deux Vosgiens ont passé l’essentiel de leur carrière comme ouvriers dans le textile. Maria a commencé à travailler à 14 ans. Bien sûr, en raison de la scolarité obligatoire, ses journées de huit heures n’ont commencé à être prises en compte qu’à partir de ses 16 ans, en 1971. Depuis, elle a validé 192 trimestres mais seulement 152 sont cotisés. Comme Claudine, elle ne peut prétendre à une retraite anticipée.
L’ancienne ouvrière est une battante mais aujourd’hui, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Après une première fermeture d’usine en 1987, Maria a retrouvé un poste dans le textile neuf mois plus tard. Mais en 2002, rebelote : l’usine met la clé sous la porte. Maria décroche alors un job chez un sous-traitant automobile.
Un métier dur, très dur. Elle tombe malade. En 2006, opération de la main gauche ; le canal carpien, grand classique des TMS (troubles musculo-squaletiques) ouvriers. En 2007, opération du canal droit . Puis en 2009, cancer. En 2010, lorsqu’elle peut enfin retourner travailler, la médecine du travail exige un mi-temps. Impossible pour l’employeur, qui licencie Maria. On lui dit alors : « Vous ne risquez-rien : vous aurez trois ans de chômage et l’AER ensuite. » Sauf qu’entre temps, l’AER a été supprimée ! La voilà donc partie pour l’ASS jusqu’à l’âge de la retraite, en février 2017.
Ça va faire quelques années à manger de la vache enragée », se désole le couple. Toute une vie de travail pour en arriver là… On est révoltés. »
La dernière fois que Gilles et Maria sont partis en vacances, c’était il y a trois ans. Se plaindre ? Pas leur genre. Mais ils sont en colère. « Il y a des situations bien pire que la nôtre. Nous, on est deux ! » Aujourd’hui, il va encore falloir puiser dans la cagnotte pour aller voir leur petite fille qui vient de naître, dans le Sud. C’est leur joie, leur bonheur. Et puis ils veulent y croire : le gouvernement ne peut pas rester insensible à ce qu’ils considèrent comme une profonde injustice : « Il faut que Hollande et Ayrault rétablissent complètement l’AER. Des personnes qui ont travaillé et obtenu tous leurs trimestres doivent pouvoir vivre dignement. »
Louis Morice – Le Nouvel Observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/social/20140220.OBS7175/chomeurs-au-seuil-de-la-retraite-ils-vivent-avec-480-euros-par-mois.html