Y’en a marre de certains élus et de leurs déboires avec la justice
Posté par ippolito le 31 mars 2014
Avoir eu affaire avec la justice est-il un atout pour certains maires?
Balkany, Woerth, Bechter… Ils sont une quarantaine à avoir été (ré)élus dimanche malgré diverses accusations de malversations (fraude fiscale, électorale, favoritisme, corruption…). Tour d’horizon.
A Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, dès le 1er tour, l’UMP Patrick Balkany n’a laissé aucune chance à Arnaud de Courson et a été réélu à la tête de la ville.
C’est une tradition française peu reluisante : les politiques ayant eu affaire avec la justice sont régulièrement réélus. Et les municipales 2014 en sont la démonstration éclatante. Avec l’aide de Transparency International et du livre Délits d’élus, de Graziella Riou Harchaoui et Philippe Pascot, qui a passé au crible le palmarès judiciaire de 400 élus, Challenges a recensé une quarantaine de maires élus malgré diverses accusations de malversations financières (fraude fiscale, électorale, prise illégale d’intérêts, favoritisme, corruption…). Les édiles en question sont majoritairement de droite et règnent souvent sur leur ville depuis dix, vingt voire trente ans pour certains. Un folklore local qui est particulièrement en vogue dans les Hauts-de-Seine, le Sud-Est et les Dom-Tom.
Le champion toutes catégories : Balkany
Le cas le plus célèbre est sans doute celui de Patrick Balkany, 65 ans. Maire UMP de Levallois-Perret de 1983 à 1995, il avait dû laisser sa place, une première fois, après avoir été condamné à 15 mois de prison avec sursis, 30.000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité pour avoir employé aux frais du contribuables trois agents municipaux dans son appartement privé. Il a même dû rembourser à la ville 524.000 euros et 231.000 euros d’intérêts.
Qu’à cela ne tienne, il a récupéré sa mairie dès 2001. Aujourd’hui, Balkany est visé par deux nouvelles informations judiciaires: une pour « blanchiment de fraude fiscale », l’édile étant soupçonné de détenir des avoirs non déclarés en Suisse ; l’autre pour « détournement de fonds publics » pour avoir utilisé un chauffeur de la mairie pour des déplacements personnels en vacances. Malgré ces affaires embarrassantes, révélées quelques mois avant les municipales, Balkany a été réélu dès le premier tour en raflant 51,5 % des voix.
La victoire est d’autant plus savoureuse que son ennemi intime, Didier Schuller a raté son improbable come-back politique à Clichy-la-Garenne. L’ancien patron de l’office HLM du « 9-2″ s’était brouillé avec Balkany et a été jusqu’à remettre aux juges des documents qui sont en partie à l’origine des nouveaux ennuis judiciaires du maire de Levallois.
Schuller lui-même n’est bien sûr pas un perdreau de l’année, lui qui avait été condamné en 2007 à un an de prison ferme, deux avec sursis, 150.000 euros d’amende et cinq ans de privation des droits civiques. Il avait fait financer ses campagnes par des entreprises du BTP en échange de marchés de l’office HLM.
Ceux qui l’emportent au deuxième tour
Jean-Pierre Bechter, l’âme damnée de Serge Dassault, a été réélu à Corbeil-Essonnes malgré sa mise en examen pour des soupçons de fraude électorale et d’achats de voix. En 2009, c’est lui qui avait pris le relais de l’avionneur à la tête de la ville, après l’annulation de l’élection par le Conseil d’Etat, qui avait alors déclaré Dassault inéligible pour un an en raison de « dons d’argent ». A noter que le bon Serge, maire entre 1995 et 2009, figurait en dernière position sur sa liste. Maryse Joissains rempile aussi à Aix-en-Provence malgré son placement en garde à vue en décembre dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de détournement de fonds publics et de trafic d’influence.
Alain Joissains, son époux, fut lui aussi maire d’Aix de 1978 à 1983 avant d’être condamné pour complicité de recel d’abus de biens sociaux, ayant financé une partie de la villa de son beau-père avec l’argent de la municipalité. Parmi les « résistants », on retrouve aussi l’UMP Brigitte Barèges, qui garde la mairie de Montauban, malgré une enquête préliminaire pour « détournement de fonds publics ». Son ex-directeur de campagne, agent municipal, affirme qu’elle l’a payé pour écrire des articles complaisants dans un journal local !
Plus spectaculaire, le come-back de Manuel Aeschlimann, un proche de Nicolas Sarkozy, à la mairie d’Asnières-sur-Seine, qu’il avait déjà dirigée entre 1999 et 2008. En janvier 2011, il avait été condamné en appel à 18 mois de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et un an d’inéligibilité, pour favoritisme dans l’attribution d’un marché public. Il lui est reproché d’avoir imposé, sans aucune mise en concurrence, pour l’organisation d’un festival local, une société de production avec laquelle il avait un lien d’affaires. Il l’a emporté avec tout juste 70 voix sur le maire sortant socialiste.
Enfin, le socialiste Gilbert Annette a conservé la mairie de Saint-Denis de la Réunion. Il avait déjà été condamné en 1996 à trente mois de prison ferme dont douze avec sursis pour corruption dans des procédures de marchés publics. Et il est visé, selon Délits d’élus, par une nouvelle plainte pour prise illégal d’intérêt liée à l’embauche de plusieurs de ses proches à la mairie.
Ceux qui ont gagné dès le premier tour
Comme Balkany, d’autres élus illustres ont réussi l’exploit d’être confortablement réélu dimanche dernier tout en étant dans le collimateur de la justice. C’est le cas d’Eric Woerth, qui l’a emporté à Chantilly avec 75 % des voix. L’ex-ministre du budget a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour recel d’une somme remise par Patrice de Maistre, l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, dans le volet abus de faiblesse de cette fameuse affaire. Son procès devrait avoir lieu d’ici la fin de l’année.
Plus fort que Woerth, l’UMP Philippe Pemezec, 68 ans, a été réélu avec 77 % des voix au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) dont il est maire depuis 25 ans. Depuis l’an passé, il est poursuivi par trois juges d’instruction, qui le soupçonnent d’avoir bénéficié d’un emploi fictif au cabinet de l’ex-ministre du logement Christine Boutin, entre 2008 et 2010. Il venait alors de perdre son siège de député, pour ne pas avoir inclus certaines dépenses de campagne dans ses comptes officiels.
Autre cas : celui de Jacques Bompard, réélu à Orange avec 60 % des voix, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel en octobre dernier pour une affaire de prise illégale d’intérêt concernant l’acquisition de deux terrains situés sur sa commune. François Pupponi, qui a remplacé Dominique Strauss-Kahn à la mairie de Sarcelles depuis 1997, est, lui, soupçonné d’avoir utilisé la carte bleue de la Société d’économie mixte Chaleur à des fins personnelles entre 2004 et 2006. Malgré une enquête préliminaire, il a été réélu avec 63 % des voix.
Citons aussi le cas du député socialiste Jean-David Ciot, réélu au Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône), juste avant d’être renvoyé devant le tribunal correctionnel pour « recel de détournement de fonds publics ». La justice reproche à l’ancien directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini au conseil général d’avoir reçu plusieurs dizaines de milliers d’euros lors de son licenciement, soupçonné d’être une démission arrangée.
Ceux qui jouent sur les délais judiciaires
Etre condamné en première instance -et donc inéligible- n’est, pour certains, pas un obstacle insurmontable. Il suffit de faire appel. On risque, au pire, dune sanction plus lourde, mais, dans tous les cas, on gagne… du temps. Le cas le plus connu est celui d’André Santini, 74 ans, réélu pour un septième mandat à la tête d’Issy-les-Moulineaux avec 67% des voix, dix points de plus qu’en 2008.
L’ancien ministre centriste a en effet été condamné en 2013 à deux ans de prison avec sursis, 200.000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité pour faux et usage de faux et détournement de fonds publics dans une affaire de surfacturation, liée à la création, dans sa ville, d’un musée d’Art contemporain: la fondation Hamon. Ce musée ne verra finalement jamais le jour. Le procès en appel doit avoir lieu d’ici la fin de l’année.
A Châtillon, Jean-Pierre Schosteck (UMP), réélu pour un sixième mandat avec 56% des voix, a été condamné à un an de prison avec sursis, 10.000 euros d’amende et un an d’inéligibilité pour favoritisme et prise illégale d’intérêt. Il est accusé d’avoir favorisé son beau-frère, architecte, dans l’obtention de deux marchés publics.
L’ancien ministre Léon Bertrand, maire UMP de Saint-Laurent du Maroni en Guyane depuis 1983, a carrément été condamné pour une affaire d’attribution illégale de marchés publics, en juillet 2013, à trois ans de prison ferme, 150.000 euros d’amende. ll a été privé de ses droits civiques pendant cinq ans. La justice soupçonne des chefs d’entreprise de lui avoir versé des pots de vin en échange de marchés entre 2003 et 2009.
Toujours dans les Dom-Tom, le centriste Cyrille Hamilcaro vient de remettre la main sur la mairie de Saint-Louis de la Réunion qu’il avait perdue en 2008. Pourtant, cet élu a été condamné en appel, en novembre 2013, à 10 mois de prison avec sursis, 86.000 euros de dommages et intérêts et 3 ans d’inéligibilité pour détournement de fonds public. Mais son pourvoi en cassation lui a permis de se représenter.
Ceux qui passent le flambeau à leur épouse
Enfin, certains petits malins envoient… leurs épouses ! C’est le cas de Caroline Bartoli élue avec 69% des voix à Propriano en Corse, à la place de son marie Paul-Marie, déclaré inéligible. La faute qu’il a commise est certes mineure comparée aux casiers de nos autres élus : le Conseil constitutionnel lui reproche de ne pas avoir inclus certains frais de bouche dans ses comptes de campagne. Mais la méthode laisse à désirer. Comme son inéligibilité prend fin le 25 mai, Caroline démissionnera à ce moment-là pour laisser la place à Paul-Marie, qui était par ailleurs son directeur de campagne.
Les Bartoli ont sans doute prix exemple sur les époux Ferrand qui s’échangent les mandats à la tête de Barcarès (Pyrénées-Orientales) depuis vingt ans au grès de leurs condamnations. Alain Ferrand (UMP) a emporté la mairie en 1995 mais a du l’abandonner en 1999 après avoir été condamné pour abus de biens sociaux et prise illégale d’intérêt dans la gestion de plusieurs casinos. Heureusement, sa femme Joëlle prend le relais jusqu’en 2011 avant d’être à son tour condamnée à 18 huit mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende pour des irrégularités dans des travaux sur le port.
Son mari reprend donc le flambeau et sera réélu en 2014 dès le premier tour, avec 55% des voix malgré une énième affaire en cours de faux électeurs où il risque l’inéligibilité. Il a aussi été placé en garde à vue en décembre dans le cadre d’une enquête préliminaire pour « favoritisme et prise illégale d’intérêt » : plusieurs publicités payées par la mairie ont fait la promotion d’un établissement privé dans lequel il est associé.
Ceux qui perdent… au bénéfice du FN
Fort heureusement, il arrive que les électeurs sanctionnent certains élus indélicats. Ainsi, le socialiste Gérard Dalongeville, qui avait dû abandonner la mairie d’Hénin-Beaumont en 2009, s’est représenté en 2014 malgré sa condamnation en première instance à quatre ans de prison, dont trois ferme, et à 50 000 euros d’amende pour détournement de fonds publics. Il a été éliminé dès le premier tour, ne recueillant que 9,8 % des voix. Le maire sortant de droite de Fréjus, Elie Brun, condamné en première instance, en janvier, pour prise illégale d’intérêt, à 20.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité, a lui, été battu au second tour. Dans ces deux cas, les villes ont été ravies par le Front national. Tout sauf une coïncidence…
http://www.challenges.fr/economie/20140331.CHA2201/avoir-eu-affaire-avec-la-justice-est-il-un-atout-pour-certains-maires.html
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.