Salaires des patrons : la Macif oublie sa déontologie
En violation de ses principes, le mutualiste s’apprête à valider une augmentation de salaire, à 5 millions d’euros en 2013, pour Denis Kessler, PDG de Scor.
Pour ou contre une forte hausse de salaire à son PDG. C’est la question posée ce mardi matin, aux actionnaires du groupe Scor, société française de réassurance, réunis en assemblée générale, à Paris. L’enjeu ? Un chèque de plus de 5 millions d’euros pour son dirigeant, Denis Kessler. Une pilule difficile à avaler pour les petits porteurs, qui peuvent désormais donner leur avis, grâce au «Say on Pay». De quoi inquiéter le PDG ?
Pas si sûr. Car la société, prudente, a placé ses pions et compte de sérieux soutiens, dont certains inattendus, comme le groupe mutualiste Macif.
Selon nos informations, la Macif, actionnaire de Scor, devrait voter pour ce salaire vertigineux, et ce en totale contradiction avec sa politique de vote qui préconise une limitation des salaires des patrons. A croire que les échanges entre le mutualiste et le réassureur ces derniers jours, et dont Libération a eu connaissance, ont payé.
Image. Le «Say on Pay», dont la portée est consultative, n’est pourtant pas une menace de taille pour Scor. D’autant que le scrutin a lieu, notamment pour la partie fixe, l’année d’après. Mais un vote sanction pèserait sur son image. Alors, pour justifier l’augmentation de 10% que veut s’offrir son PDG pour 2013 – soit 485 000 euros de plus que l’année précédente -, mieux vaut s’assurer un score honorable.
Au total, la rémunération de Denis Kessler, au titre de ses services rendus l’année dernière, devrait grimper à 5,134 millions d’euros, dont 2,562 millions de salaire brut. Le reste – des actions et options accordées pour l’exercice – est sans doute la partie la plus juteuse. Le PDG se voit attribuer 100 000 options de souscription ou d’achat d’actions au prix d’exercice de 22,25 euros, soit bien en dessous du cours actuel. Valorisé à 228 000 euros dans le bilan présenté aux actionnaires, le paquet pourrait rapporter bien plus dès 2017, date à laquelle le PDG pourra exercer ses droits. Idem pour les 125 000 actions offertes pour la même année, valorisées à 2,343 millions d’euros.
«Son salaire fixe est supérieur de 50% à la médiane des dirigeants du SBF 120 [les 120 plus grosses capitalisations boursières françaises]», note une analyste de Proxinvest (1). Pour le cabinet, spécialisé dans l’assistance à l’exercice du vote, pas question de conseiller cette rémunération qui dépasse de loin le «plafond raisonnable de rémunération d’un dirigeant exécutif», soit «un maximum de 240 fois le Smic brut». D’autant que «Scor manque de transparence».
Etonnant donc que le groupe Macif, qui dispose d’une politique de vote calquée sur le modèle de Proxinvest, valide cette augmentation. Sur son site, le mutualiste l’assure :le groupe est défavorable à toute rémunération globale excédant «3,9 millions d’euros» . Ce plafond étant dépassé de 1,234 million d’euros, il aurait dû déclencher le veto du groupe Macif. Pourtant, selon nos informations, ce dernier se serait fixé une tout autre ligne, en préconisant un vote positif.
Aux oubliettes les valeurs du mutualiste qui se veut pionnier de l’investissement socialement responsable, et explique, sur la Toile, combien «l’exercice des droits de vote est un élément essentiel de [sa] pratique d’investisseur responsable». Le même se targue d’interpeller «certaines entreprises afin de les amener à améliorer leurs pratiques sociales, environnementales ou de gouvernance» lors des assemblées générales.
Contacté par Libération, le président de la Macif, Gérard Andreck, n’a pas souhaité réagir pour clarifier son intention de vote. «Vu sa position, il est impensable qu’il s’oppose à la hausse de salaire», note un analyste financier. Car, nuance de taille, l’homme est aussi administrateur du groupe Scor depuis 2008. Il est, à ce titre, directement concerné par une autre résolution mise au vote de l’assemblée générale : la hausse de 20% de l’enveloppe annuelle maximale des jetons de présence (base de calcul de la rémunération des administrateurs), fixée pour 2013 à 1,152 million d’euros, dont 54 000 euros devraient revenir à Gérard Andreck.
«Équité». «Très impliqué dans l’économie sociale», selon la présentation qu’en dresse la société Scor, Gérard Andreck, ex-président du Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale, puis du Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale, plaidait, dans une récente conférence, pour une économie sociale «au service des hommes». Dans la Revue civique, il expliquait également combien «la Macif était portée par des valeurs de partage, d’équité et de solidarité».
Dans son bilan passé, la Macif se félicitait aussi de ne pas avoir «détecté de situation de conflit d’intérêts en 2013 dans l’exercice des droits de vote». Ni de dérogation à sa politique de vote. Pas sûr qu’elle puisse tenir le même discours cette année.
(1) La citation a été rectifiée après la parution de l’article le 5 mai à 20h00.
Amandine CAILHOL
http://www.liberation.fr/economie/2014/05/05/salaires-des-patrons-la-macif-oublie-sa-deontologie_1011183