Y’en a marre de la SNCF
Posté par ippolito le 24 mai 2014
Trains trop larges : ce n’est pas le premier bug !
Avant l’affaire des trains trop larges, il y eut déjà d’autres erreurs ubuesques : des quais trop bas sur le réseau d’Île-de-France, un nouveau Francilien à un seul plancher venant remplacer des rames à deux étages et obligeant les usagers à rester debout, etc. Des aberrations qui prennent leur source, en partie, dans une dinguerie : la séparation d’une seule et même activité entre deux entités, la SNCF et Réseau Ferré de France, qui se font la guerre.
La révélation par le Canard Enchaîné du gag courtelinesque de la commande par la SNCF de 2 000 TER qui ont vingt centimètres de trop pour passer entre les quais de nombreuses gares ne fait pas que rire. Cette blague de polytechniciens ouvre les yeux du grand public sur le bazar qu’est devenu le service public des transports.
Apprenant à cette occasion que les nouveaux trains français ne sont plus seulement fabriqués par Alstom, mais par le canadien Bombardier, l’usager découvre surtout que le système français fait intervenir de manière ubuesque deux acteurs qui travaillent chacun dans leur coin et se détestent cordialement, la SNCF, qui s’occupe des trains qui roulent (pas toujours), et RFF (Réseau Ferré de France), qui s’occupe des rails et des quais.
C’est pour dissimuler une partie de la dette publique afin de se conformer aux critères de Maastricht, que les infrastructures de la SNCF (rails, aiguillages, signalisation, alimentation électrique) ont été regroupées en 1997 dans une nouvelle société, RFF, à qui l’Etat avait fourgué une dette de plus de 20 milliards d’euros venant de la SNCF.
Le gouvernement expliquait à l’époque que c’était pour satisfaire aux exigences de la Commission européenne, laquelle demandait d’ouvrir les grandes lignes à la concurrence, ce qui est faux, la Deutsche Bahn n’ayant pas procédé à ce saucissonnage absurde et Guillaume Pépy ayant récemment obtenu de revenir sur cette partition.
Résumons donc cette dinguerie qui explique le bug des trains trop gros (attention, il faut se cramponner) : la SNCF fait rouler ses trains sur le réseau qu’elle loue à RFF, laquelle possède les rails, les aiguillages et les quais de gares, mais pas les gares qui restent à la SNCF ! RFF, qui n’a pas de personnel, a l’obligation de faire appel à la SNCF qui lui facture la maintenance du réseau… Car, pour faire accepter cette réforme néolibérale aux syndicats de la SNCF, la gauche avait à l’époque imposé cette clause corporatiste à RFF : le monopole des travaux d’entretien pour la SNCF.
Depuis, chacun a pris l’habitude de trouver les défauts des autres plus gênants que les siens et une culture de la défausse s’est installée : RFF considère que la SNCF, qui lui sous-rémunère la location des rails, est mal gérée et que les factures de ses travaux sont exorbitantes. La SNCF estime que RFF n’a pas les moyens d’entretenir le réseau qu’elle loue. Et quand il est décidé d’investir, la SNCF (où les énarques ont proliféré) et RFF (bastion des cheminots polytechniciens) se font des croche-pattes plus ou moins volontaires.
Car le coup des quais trop larges n’est pas le premier bug issu de leur petite guerre. Il y a eu auparavant celui des quais trop bas sur le réseau Ile-de-France ! Il y a trois ans, lors de la mise en service du nouveau « Francilien » commandé par la SNCF (fabriqué aussi par Bombardier), les deux compères se sont aperçus un peu tard que ce nouveau matériel roulant, plus haut que l’ancien, nécessitait de rehausser les quais de gares.
La SNCF pensait que RFF, propriétaire de tous les quais, s’acquitterait de cette mise à hauteur. RFF rétorqua que ce choix ayant été fait par la SNCF sans qu’elle soit consultée, elle ne paierait pas cette mise à niveau qu’elle avait alors estimé à 2 milliards d’euros.
Résultat, seules quelques gares ont été rectifiées, dans les autres le Francilien déploie automatiquement au bon étiage une « marche à hauteur mobile », des balises étant installés dans les gares aux quais trop bas pour indiquer au train de s’adapter. Aux personnes âgées et handicapés de se cramponner pour monter dans les voitures ou en descendre…
Dans l’affaire du jour — les trains trop larges — RFF évalue à 50 millions le coûts des travaux d’élargissement des quais (les spécialistes pensent déjà à deux ou trois fois plus) tout en expliquant que personne ne sera lésé. Ces sommes qui n’auraient pas dû exister, palliant des erreurs dues à la mésentente entre technocrates, ne sont pas des investissements améliorant quoi que ce soit pour les usagers, mais des surcoûts qui seront évidemment acquittés d’une manière ou d’une autre, soit sur la feuille d’impôt du contribuables, soit dans les tarifs payés par l’usager qui sont déjà exorbitants (plus de 100 euros par mois pour nombre d’usagers franciliens).
Quand ils ne se traduisent pas des dépenses supplémentaires, ces dysfonctionnements dégradent encore les conditions de transport, ce que montre un autre méga bug dont on a beaucoup moins parlé, concernant la mauvaise conception du Francilien Bombardier : une partie des usagers doit voyager debout parce qu’on a remplacé des rames à deux étages par des rames à un seul plancher.
Ces rames autotractées de huit voitures disposant de larges portes automatiques pour « fluidifier » les montées et les descentes, sont constituées d’un seul plancher « vidéo surveillable » (alibi pour supprimer le personnel embarqué).
Ce choix, qui correspond à la volonté de la SNCF de s’aligner sur le « modèle japonais », a pour conséquence un faible gain de place par rame (15%) alors que la SNCF envisage 50% d’augmentation du trafic d’ici à 2030. Comment cela peut-il coller ? En misant sur une grande fréquence des trains, mais aussi, avait fini par avouer la SNCF, en prévoyant sans état d’âme qu’ « aux heures de pointe 10% des usagers voyagent debout ». Pour la SNCF, tout est possible…
A l’époque, RFF s’était inquiété à haute voix de ce choix d’un matériel « pas très capacitaire » et en avait annoncé les défauts : « Etre debout, c’est acceptable pendant quelques minutes dans Paris. Mais demander aux gens de voyager ainsi pendant quarante minutes, c’est peut-être plus difficile…», mettait ainsi en garde l’un des patrons de RFF.
La SNCF expliquait alors que RFF se mêlait de ce qui ne le regardait pas et Jean-Paul Huchon, président socialiste du Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif), représentant des élus et donc des usagers, avait laissé passer cette faille. Au moment de l’inauguration, il s’était contenté de prendre date : « On va voir ce que vont donner les premières mises en service, et s’il faut des rames à deux niveaux, on fera des rames à deux niveaux ! » Depuis, il a renié cette promesse et des milliers d’usagers sont contraints chaque jour à la station debout durant une demi-heure ou parfois plus…
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