
Députés : plus belle la vie !
Article extrait du dossier « Profession politicien », Enquêtes du contribuable n°1, octobre-novembre 2013. Toujours disponible.
Quand l’avion remplace la roulotte : les parlementaires, ces gens du voyage.
En février 2012, l’ex-ministre des Transports et député UMP de l’Essonne Nathalie Kosciusko-Morizet, estimait le prix d’un ticket de métro à 4 euros, au lieu d’1,70 euros, et s’excusait ainsi de son erreur : « Mea culpa, ça fait bien longtemps que je n’ai pas acheté un ticket ». Et pour cause : les parlementaires français disposent de « facilités de circulation », selon l’expression utilisée dans les dispositions du Parlement, qui leur permettent de voyager gratuitement et sans avoir jamais connaissance du coût réel de leurs trajets.
Pour ce qui est du métro, les députés et sénateurs disposent d’une carte qui leur permet de voyager sur le réseau parisien à leur guise, gratuitement. Cependant, beaucoup préfèrent aux transports en commun la flotte de voitures mise à leur disposition. Un coup de téléphone, et une Citroën C6 noire aux vitres teintées avec chauffeur les attend dans la cour pour les emmener à l’adresse de leur choix à Paris et en région parisienne. Et s’il n’y a pas de voiture ou de chauffeur disponible, le service des transports commande pour eux un taxi, qui leur sera remboursé.
Si le règlement précise que ces déplacements doivent être « directement liés à l’exercice de leur mandat », l’application est bien différente, et personne ne vient en contrôler le motif, dont l’appréciation serait de toutes façons difficile à définir. Si le parlementaire, son collaborateur ou un membre de sa famille dispose d’une voiture, il peut bénéficier d’une place de parking – gratuite, bien entendu – sous le marché Saint-Germain, pour le Sénat, sous les Invalides, pour l’Assemblée.
Pour ses voyages en France, le parlementaire peut retirer ses billets 1ère classe gratuits aux guichets SNCF et Air France qui lui sont dédiés au sein de l’Assemblée et du Sénat. Les voyages sur les réseaux ferrés ne sont pas limités en nombre, ni géographiquement.
Et si le train est complet, une ligne téléphonique a été mise en place, qui permet de leur débloquer une place sur le trajet souhaité. Quant aux voyages aériens, le député métropolitain a droit chaque année à 80 passages entre Paris et sa circonscription, mais aussi douze passages en France, hors circonscription – en classe Affaires, bien évidemment !
92 : c’est le nombre de voyages par an et en avion auquel a droit un député métropolitain. En classe Affaires bien entendu…
Repas. Une cuisine parlementaire trois étoiles.
Ça commence dès le petit-déjeuner, avec une série d’invitations dans les restaurants aux alentours de l’Assemblée nationale : tel cercle qui invite les députés à débattre sur les sujets liés à l’entreprise, la défense, l’eau, l’énergie… Pour sensibiliser leurs invités et les mettre dans de bonnes dispositions vis-à-vis de leurs intérêts, les lobbys ne lésinent pas sur le service. Café, thé, croissants, tartines, beurre, confiture, miel, fruits et laitages : les gourmands ont de quoi s’en mettre plein la panse en écoutant les débats d’une oreille.
S’ils souhaitent organiser eux-mêmes un petit-déjeuner pour leurs collègues ou leurs visiteurs, les députés peuvent disposer d’un appartement à la questure, prêté par l‘un des trois questeurs. Dans ce cas, le service et les boissons sont fournis par la questure : le député invitant n’a plus qu’à payer les viennoiseries, le pain et quelques fruits, soit environ 2 euros par tête… C’est ainsi que l’endroit est réputé pour organiser les petits-déjeuners les moins chers de Paris !
Même chose à déjeuner et à dîner : les invitations s’accumulent, dans les plus beaux restaurants de la capitale, pour des déjeuners, dîners, soirées, sans compter les avant-premières de cinéma, spectacles, concerts, opéras, tous assortis du cocktail de rigueur ! Si le sénateur souhaite inviter, il dispose d’un restaurant d’excellente qualité au Sénat, à des tarifs privilégiés, à rendre jaloux un député !
7100 euros. Hors IRFM, c’est le traitement mensuel brut des parlementaires, indemnités de résidence et de fonction comprises.
Le matériel : en veux-tu en voilà !
Dans son bureau, le député dispose d’office d’une télévision dernier cri, de deux ordinateurs et d’une imprimante. S’il a besoin d’une quelconque installation supplémentaire, un service d’intendance efficace est à son service pour installer ses cadres, une nouvelle étagère, une lampe de bureau, un meuble, nettoyer la moquette ou repeindre les murs – aucun contrôle n’étant effectué pour éventuellement limiter les demandes excessives des uns ou des autres, pour ne pas parler de « caprices ».
Besoin de stylos, cahiers, d’une cartouche d’imprimante ou de classeurs ? Il suffit de se rendre au bureau des fournitures ou, encore mieux, de passer une commande, et tout ce que souhaite le parlementaire lui est déposé à son bureau. Seules les cartouches d’imprimante sont limitées. Pour le reste, c’est à la demande. Ainsi, à l’approche de la rentrée scolaire, les employés aux fournitures constatent avec amusement une augmentation passagère des commandes… !
Argent de poche. L’usage de l’IRFM ne donne lieu à aucune vérification ni contrôle, pas même par les services fiscaux.
Le montant actuel de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) : 5770 euros bruts par mois pour les députés, 6412 euros bruts pour les sénateurs. Son but est de permettre au bienheureux parlementaire de « faire face aux dépenses liées à l’exercice de son mandat et qui ne sont pas directement prises en charge ou remboursées ».
Une coquette somme qui recouvre largement les frais de fonctionnement d’un secrétariat parlementaire – frais qui ne comprennent pas les salaires des collaborateurs – qui font l’objet d’une enveloppe particulière. Au vu de la prise en charge, plus que complète, des frais quotidiens du parlementaire, le traitement proprement dit de nos élus, baptisé pudiquement « indemnité parlementaire », s’apparente ni plus ni moins à de l’argent poche. En 2013, le montant en est de 7100,15 euros bruts par mois, au Sénat comme à l’Assemblée.
Article extrait du dossier « Profession politicien », Enquêtes du contribuable n°1, octobre-novembre 2013. Toujours disponible.
Certains diront que le Sénat est inutile. Pour beaucoup de Français, c’est une maison de retraite pour un personnel politique âgé, le refuge de politiques recalés du suffrage direct ou un repaire pour truands protégés par l’immunité parlementaire. Pour d’autres, il est indispensable à l’équilibre démocratique de notre système parlementaire.
En sus de son traitement mirifique, le sénateur bénéficie de toute une série de commodités. A la Chambre haute, on trouve, entre autres, un restaurant et sa célèbre cave à vin (quelques milliers de bouteilles), un salon de coiffure, une lingerie, une salle de sport (souvent vide), un labo photo et même un atelier d’ébénisterie…
Non seulement les sénateurs sont très bien logés quand il leur advient d’être à Paris (une dotation de 75 euros par jour leur est versée ) mais ils peuvent aussi bénéficier de prêts avantageux pour l’achat d’un logement… Jusqu’à 75 000 ou 150 000 euros selon la région, au taux annuel de 2 % sur 18 ans. De quoi donner du baume au coeur des 3,6 millions de Français mal-logés…
Le Sénat buissonnier
Le plus scandaleux est que les sages de la Haute assemblée y mettent rarement les pieds. Seule une soixantaine de sénateurs sont assidus aux séances publiques.
Pour leur défense, ces élus expliquent que le vrai travail parlementaire se déroule en commission et pas en séance. L’article 15 alinéa 3 du règlement du Sénat stipule qu’en cas de trois absences consécutives d’un sénateur dans la commission dont il est membre, son indemnité de fonction pourra être réduite de moitié. Malheureusement cette disposition n’a jamais été appliquée. De toute façon, ceux qui suivent les séances publiques du Sénat auront pu le constater, les sénateurs écoutent rarement l’orateur, trop occupés qu’ils sont à bavarder avec leurs voisins ou à s’occuper de leurs affaires personnelles.
Les heureux résidents du palais du Luxembourg n’ont aucune excuse pour expliquer ces absences. Comme pour les députés, chaque sénateur peut profiter de la gratuité du réseau SCNF et en 1re classe (demi-tarif pour les conjoints) ainsi que 46 allers-retours en avion, en France métropolitaine. Arrivé à Paris, chaque élu bénéficie de 3 000 euros de frais de taxi par an, d’une carte gratuite pour le métro et surtout du parc auto du Palais (une vingtaine de voitures à 45 000 euros l’unité).
« Le Sénat est le seul club que je connaisse où l’on paye la cotisation des membres ». Un sénateur
D’autres facteurs expliquent ces absences. Il existe 78 « groupes d’amitié » avec les pays étrangers. Ils permettent aux sénateurs de partir en voyage tout frais payés (et souvent en famille). Le travail sur place laisse beaucoup de temps libre pour les activités touristiques.
Chaque sénateur peut adhérer à autant de groupes qu’il le désire. Il leur est demandé une cotisation annuelle de seulement 19 euros par pays. Et c’est sans compter les quelques dizaines de « groupes d’étude », à l’intitulé sympathique, comme « les arts de la rue et du cirque » ou « la chasse et la pêche ». Ces groupes sont le lieu d’intrigues de couloir et de lobbying, dont le Sénat est le carrefour.
La réserve parlementaire
Parmi les multiples ressources du Sénat, la réserve parlementaire (qui sert à financer des associations et des collectivités dans les circonscriptions) est comme la partie émergée de l’iceberg. Elle s’élève, selon les spécialistes du sujet, à 150 millions euros, Sénat et Assemblée nationale confondus. Le crédit de cette caisse, caché à l’intérieur des budgets de différents ministères, ne sert qu’à acheter les électeurs… Le vrai pactole, est celui de la caisse de retraite des anciens sénateurs qui se monterait à quelque 500 Meuros.
Une retraite en platine
En moyenne, un sénateur touche 4382 euros nets par mois pour une obligation de cotisation de seulement 15 ans. La retraite maximum peut atteindre 6000 euros mensuels pour 25 ans de cotisation. Pour bien se rendre compte, après un mandat de six années, un sénateur recevra 1869 euros de pension. Cette somme est supérieure à ce que touche un Français du privé après 40 ans de cotisation.
La réforme de 2010 ne change quasiment rien, si ce n’est l’âge légal de départ en retraite. Les veuves et veufs, pour leur part, touchent 66 % de réversion, taux le plus élevé de France… A force de privilèges, la douloureuse du Sénat, les contribuables la sentent passer.
En 2013, le montant de la dotation de l’Etat dépasse les 323 millions d’euros. Cette enveloppe, votée par les sénateurs, est immédiatement placée, personne ne sait où, et fait des petits. Le profit ainsi dégagé, les Français ne le revoit pas, cela va de soit… Il sert probablement à opérer de nombreux et luxueux travaux de réfection du Palais et des immeubles achetés ici et là dans les beaux quartiers parisiens. Comme par exemple l’achat du 46, rue de Vaugirard en 2002, dont la rénovation a coûté plus de 10000 euros le mètre carré.
Aux abonnés absents
Bien payés, les 348 sénateurs français ont peu de risques d’être victimes de surmenage : « Au Sénat, un tiers ne siège jamais et un tiers rarement. Sur le tiers qui reste, un tiers n’intervient guère, un tiers rarement. Tout se joue donc entre une trentaine de sénateurs. C’est apaisant », ironisait Yves Guéna, en 2010, dans ses « Mémoires d’Outre-Gaulle », le général s’étant lui même prononcé pour une fusion de la Chambre haute et du Conseil économique et social en 1968.
Certains élus ne mettent jamais les pieds au palais du Luxembourg : en 2011, « FanFan » a été désigné champion absolu de l’absentéisme. Il s’agissait du sénateur radical de gauche François Vendasi, 71 ans, élu de Haute-Corse : « Je me rends au Sénat seulement une fois par an, car ce n’est pas avec des effets de manche dans l’amphithéâtre du Sénat qu’on règle les dossiers », expliquait-il alors à France-Soir. F.D.
Bons baisers de… Berne
En Suisse, nos sénateurs passent pour des guignols… En témoigne le billet qu’a signé sur son blog, en mai dernier, Fathi Derder, un conseiller national (l’équivalent d’un député français) du canton de Vaud.
« D’accord, d’accord… Nos amis français sont venus lundi à Berne. Une délégation du Sénat en visite. On s’attendait à du lourd: on a été servis. La totale. Ce ton, ce style inimitable: ne jamais parler, toujours expliquer.Au repas déjà, chez l’ambassadeur, une sénatrice « explique » à ma table que la France est un pays ultralibéral. Oui, Madame. Elle nous raconte les us et coutumes des habitants de cette terre lointaine. Inconnue. Je lui fais remarquer que, si la France est un pays « ultralibéral », la Suisse est un club échangiste. Sous ecsta.
Quelques minutes plus tard, en séance, un sénateur nous « explique » que nous ne comprenons pas la France. Et sa fiscalité. Il faut savoir que, pour un élu français en tournée en province, si on n’est pas d’accord, c’est qu’on ne l’a pas compris. Alors il réexplique, plus lentement. Il articule. C’est inintéressant, mais joli à entendre. Puis, devant notre lenteur – toute helvétique –, une sénatrice admet alors que, dans le fond, nous « ne pouvons pas » comprendre la question fiscale française. Car la Suisse est, je cite, « en retard en matière de dépenses publiques ». La preuve : les crèches. Je n’invente rien. Désarmante France.
Quarante ans de déficit, une dette abyssale, mais elle fait la leçon. Elle donne un cours de gestion de faillite au pays le plus riche du monde. Le cancre fait la nique au premier de classe: le panache laisse coi. Admirable. Encore ! Moralité : la crise française est plus grave que prévu. On se trompe, notamment, sur sa cause. La France ne souffre ni de son chômage ni de sa dette : elle est malade de son aveuglement.
Incapable de se remettre en question. Le fameux «déni»: l’Allemagne a tort, la Suisse a tort, tout le monde a tort. Et la France ? Elle a raison. D’accord ? D’accord. Et pendant ce temps, elle coule. Encore et encore. C’est que le début. D’accord, d’accord…»
http://www.lesenquetesducontribuable.fr/2015/01/29/deputes-plus-belle-la-vie/48798