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Patrick Balkany, le pilier de bobards
Sauf grosse surprise, le Bureau de l’Assemblée nationale devrait lever mercredi l’immunité parlementaire de Patrick Balkany. Les juges, qui disposent d’éléments accablants, espèrent ainsi accentuer la pression sur le député des Hauts-de-Seine.
Car depuis qu’une enquête a été ouverte sur sa fortune cachée, l’élu s’est enfermé dans le déni. «Quand on n’a rien à se reprocher, on se sent bien», avait-il lâché en sortant du pôle financier, le 21 octobre, fraîchement mis en examen pour «blanchiment de fraude fiscale» et «corruption». Rien à se reprocher, donc, mais surtout rien à déclarer, comme en atteste ce courrier adressé à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique, l’organisme chargé de contrôler le patrimoine des élus :
«Je confirme ne détenir aucune valeur cotée ou non en Bourse, aucun placement de quelque nature que ce soit, aucune collection ni objet d’art, ni bijou, ni pierre précieuse ou or, ni véhicule terrestre à moteur, bateau ou avion, ni fonds de commerce, ni compte ou bien à l’étranger.» Ainsi se dépeint Patrick Balkany, pauvre comme Job, cochant un «néant» à presque chacune des cases. Passage en revue de ses plus gros bobards.
Voitures : trois 4×4
On peut comprendre que le député-maire de Levallois-Perret soit discret sur ses lieux de villégiature à Saint-Martin ou Marrakech, aux mains de sociétés offshore (Libération du 24 février). Mais ses voitures ? Il en déclarait cinq dans les années 90, ainsi qu’un bateau. Depuis, plus rien à l’exception d’une Audi Mini au nom d’Isabelle.
Il n’a pas été compliqué aux enquêteurs d’établir que les époux Balkany possèdent en réalité au moins trois 4×4 (entre 35 000 et 72 000 euros l’unité), assurés en leur nom sous les cocotiers. «Leurs dernières déclarations de patrimoine sont, au minimum, mensongères», concluent-ils dans un rapport d’avril 2014, suggérant un élargissement des poursuites pour «faux».
Emploi de maison : ça, c’est palace
Les incohérences ne se limitent pas aux voitures. Entre ses émoluments de député et ses indemnités d’élu local, Patrick Balkany déclare officiellement 85 000 euros de revenu annuel, quand ses seules dépenses liées à des emplois à domicile tournent autour de 120 000 euros l’an.
Conclusion logique : soit il vit à crédit, soit il dispose d’autres revenus non déclarés. Isabelle Balkany gagne un peu moins (81 000 euros de revenus déclarés), mais ne lésine pas non plus sur le petit personnel (69 000 euros pour les emplois à domicile par an). En tout, pas moins de six personnes sont ainsi affectées à leur service au moulin de Giverny, leur résidence principale effective (lire page 5). Une aubaine : grâce aux déductions fiscales, le couple ne paye que quelques centaines d’euros d’impôts sur le revenu. Très loin de l’impôt sur la fortune (ISF).
Voyages : chiens et espèces
Pour ses vacances à l’étranger, Patrick Balkany paie systématiquement tout en espèces. Selon le recensement des enquêteurs, l’agence de voyage Thomas Cook a ainsi perçu 24 500 euros en cash sur les seules années 2010 et 2011. En mains propres, si l’on ose dire, selon une mécanique bien huilée : sur simple coup de fil, une responsable de l’agence se rend à la mairie de Levallois, récupère auprès de la secrétaire particulière de Patrick Balkany une enveloppe préalablement garnie en grosses coupures par le grand homme.«Lorsque le prix est connu, M. Balkany prépare le règlement, le plus souvent en espèces, et me remet une enveloppe contenant le montant», a confirmé sur procès-verbal la secrétaire.
Et de préciser les destinations : «Marrakech essentiellement, quatre ou cinq fois par an. Et pour Saint-Martin, une fois dans l’année.» Un emploi du temps chargé qui ne suffit pourtant pas à expliquer l’ampleur des montants en jeu. Et pour cause : il faut aussi embarquer les policiers municipaux détachés à son service personnel (lire ci-contre),invités, nourris et logés à Saint-Martin. Mais aussi, suggère la responsable de l’agence,«réserver des billets pour un ou deux chiens». Toujours en business-class.
Chez Thomas Cook, il est théoriquement interdit d’accepter tout paiement en liquide supérieur à 3 000 euros, au nom de la lutte antiblanchiment. Qu’à cela ne tienne, il suffit que des amis abondent un compte intitulé «cadeau», initialement mis en place pour des listes de mariage.
Admirable chaîne d’amitié, parfois relayée pour les besoins de la cause par la responsable de l’agence, qui admet avoir déjà fractionné fictivement 8 000 euros remis par Patrick Balkany pour ne pas crever le plafond autorisé. Ces remises en espèces dépassant le montant des retraits officiels effectués par les époux Balkany sur la même période (18 750 euros), les enquêteurs estiment «évident que ces derniers disposent a minima d’un compte bancaire à l’étranger, voire de possibles revenus occultes», dans un rapport de novembre 2013.
Immobilier : la bulle se dégonfle
La pierre est une autre source d’étonnement. Sur le papier, Patrick Balkany, officiellement domicilié dans sa permanence électorale de Levalllois, n’est aujourd’hui propriétaire de rien. Depuis une quinzaine d’années, son patrimoine immobilier déclaré a singulièrement dégonflé, sans que n’apparaisse la moindre plus-value à la revente.
En 1989, il se déclare propriétaire d’un appartement à Levallois, acheté 7 millions de francs un an plus tôt, agrémenté de 11 millions de travaux. En 1993, il évalue le tout à 10 millions, qu’il cède au même prix quatre ans plus tard. Les meubles sur place, que Balkany évaluait lui-même à 2,5 millions de francs ? Revendus eux aussi dans la foulée de l’appartement. Cette année-là, ses comptes bancaires n’affichent pourtant qu’un maigre reliquat de 88 000 francs.
En 2001, bonne nouvelle, il bénéficie par héritage de parts dans une villa cannoise et un appartement à Neuilly, évaluées par ses soins à 625 000 et 907 000 francs. Mais l’année suivante, ces parts ne figurent plus dans sa déclaration de patrimoine, manifestement cédées sans conséquence apparente sur ses comptes bancaires, qui affichent même un découvert de 50 000 francs.
Seul reliquat immobilier, sa permanence électorale à Levallois, que Balkany proclame avoir achetée 200 000 francs en 1979. En 1995, il ajoute à sa déclaration un appartement adjacent, acheté 350 000 francs la même année. Les deux biens sont réévalués un million de francs en 2000. Puis disparaîtront définitivement de ses déclarations de patrimoine à partir de 2007. Sans laisser la moindre trace.
Héritage : plus-value non valable ?
Patrick Balkany doit une partie de sa fortune à son père, commerçant dans le textile, fondateur de Laine et soie Réty. En 1989, il déclare sa part, 25% du capital, évaluée par ses soins à 15 millions de francs, qui disparaîtra elle aussi de sa déclaration de patrimoine au cours des années suivantes. Les enquêteurs ont tenté de remonter le fil, relevant que Balkany avait cédé ses parts pour plus de 30 millions de francs entre 1989 et 1991 à un généreux investisseur suisse, Supo Holding : l’entreprise familiale étant structurellement en pertes, elle ne valait que par son droit au bail dans un beau quartier parisien, rue du Faubourg Saint-Honoré.
D’après le calcul des enquêteurs, les parts de Balkany ne valaient en fait même pas 9 millions, plus de trois fois moins que le prix de vente. «Le prix finalement payé reste à justifier», concluent-ils benoîtement. Surprise, parmi les trois virements suisses totalisant 30 millions de francs, un tiers proviendrait indirectement, non pas de Supo Holding, le repreneur final affiché, mais d’un holding immatriculé au Lichtenstein, intitulé Lecaya. Une coquille évoquée par Didier Schuller, ancien homme à tout faire de Patrick Balkany, dans le livre French Corruption de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, en octobre 2013, puis dans le bureau des juges d’instruction, en janvier 2014 :
«Durant les années 1987 à 1994, j’ai déposé des espèces à l’étranger pour son compte, entre 7 et 10 millions de francs, au nom de Lecaya Anstalt Vaduz.» Balkany aurait-il artificiellement gonflé la vente de l’entreprise familiale pour justifier le blanchiment de revenus occultes ? Pataquès non résolu à ce jour.
http://www.liberation.fr/politiques/2015/03/15/patrick-balkany-le-pilier-de-bobards_1221338