
La retraite chapeau, souvent décriée, encore peu encadrée
Fin octobre avait été annoncé que le PDG de GDF-Suez, Gérard Mestrallet, touchera après son départ du groupe, prévu pour mai 2016, une retraite chapeau de 831 641 euros par an (soit 28 % de sa rémunération de référence), obligeant le groupe, détenu à 33 % par l’Etat, devrait provisionner 21 millions d’euros dans ses comptes pour financer cette retraite.
Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, avait alors dit « désapprouver »cette pratique mais avait assuré ne rien pouvoir y faire, car elle est conforme au code de conduite établi par l’Association française des entreprises privées (AFEP) et le Medef. La CGT du groupe avait pourtant demandé, jeudi 23 octobre, des « comptes » à la direction. Pour le syndicat, il s’agit de « modalités de retraite hors de l’entendement », alors que beaucoup de salariés vivent avec des salaires au niveau du smic et que GDF Suez a engagé un plan de rigueur de l’ordre de 4,5 milliards d’euros.
Emmanuel Macron s’est désormais clairement prononcé pour la suppression des retraites chapeau. « J’ai demandé avec Michel Sapin [le ministre des finances] qu’une mission de l’Inspection générale des finances soit faite pour que (…) nous puissions trouver une vraie solution pour supprimer les retraites chapeau et les remplacer par un régime de droit commun plus lisible pour tous les Français », a-t-il déclaré mardi 18 novembre.
1. Qu’est ce qu’une retraite chapeau ?
C’est une prestation de retraite dite « complémentaire » ou « surcomplémentaire », c’est-à-dire qu’elle s’ajoute aux régimes obligatoires et complémentaires (Agirc ou Arrco pour les salariés).
Elle peut être octroyée à un cadre, dirigeant, mandataire social d’une entreprise, mais c’est celle des grands patrons qui est le plus souvent pointée du doigt pour ses montants très importants.
2. Les scandales précédents
La dernière polémique remonte à novembre 2013. L’octroi à Philippe Varin, alors président du directoire de PSA, d’une retraite de 21 millions d’euros, avait fait scandale, car le constructeur hexagonal se trouvait alors dans une situation financière particulièrement difficile, avec gel des salaires pour les salariés.
L’Etat venait également d’apporter, fin 2012, sa garantie à Banque PSA Finance à hauteur de 7 milliards d’euros. De quoi lui donner un droit de regard sur la rémunération des dirigeants du groupe.
Au terme de plusieurs heures de turbulences, M. Varin avait finalement annoncé qu’il renonçait à ses émoluments.
Les modalités de cette retraite répondaient pourtant aux critères édictés à l’époque de son octroi (en 2009). Mais son niveau était trop choquant pour l’opinion publique et les salariés.
3. 21 millions d’euros, un montant inhabituel ?
Les provisions mises à disposition par les entreprises représentent généralement une avance de vingt à trente ans, calquée sur l’espérance de vie moyenne. La Société générale avait ainsi provisionné, en 2009, un peu plus de 30 millions d’euros pour la retraite de son ancien président Daniel Bouton. La pension de Gérard Mestrallet, comme celle de Philippe Varin il y a un an, est donc dans la moyenne du secteur.
4. Que dit la loi ?
L’encadrement par la loi de la retraite chapeau est un serpent de mer. Plusieurs fois promis, il n’a jamais été mis en place.
A l’automne 2008, le gouvernement Fillon rétropédale en moins d’une semainesur l’encadrement de ces pratiques, après avoir promis de « légiférer sans attendre ». Il s’en remet au code de gouvernance édicté par le Medef et l’AFEP, qui se contentait de vagues principes de modération.
Deux ans plus tard, majorité et opposition s’unissent au Parlement pour plafonner les pensions à 30 % de la rémunération de la dernière année d’exercice. Une tentative torpillée par le gouvernement, qui explique que ce système ne touche pas seulement les grands dirigeants, mais aussi plusieurs milliers de cadres.
A la suite d’un rapport de Martin Hirsch, Nicolas Sarkozy se saisit pourtant à nouveau du sujet pendant la campagne présidentielle de 2012, en promettant tout bonnement de mettre fin aux retraites chapeaux.
Pendant la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait aussi promis d’encadrer les rémunérations des patrons. Mais l’exécutif y a finalement renoncé.
En la matière, donc, comme sur d’autres questions de rémunération des dirigeants et de gouvernance en général, les entreprises françaises (notamment les plus importantes, cotées en Bourse) ont obtenu de pouvoir s’autoréguler, via leurs associations représentatives.
POUR EMMANUEL MACRON, DES CRITÈRES À « CLARIFIER»
En contrepartie, le Medef et l’AFEP ont durci, en juin 2013, leur code de bonne conduite, qui encadre ces pratiques. Il s’agit d’un ensemble de « recommandations » en matière de gouvernance.
Le code stipule qu’une retraite chapeau ne doit pas dépasser 45 % de la rémunération « de référence » d’un dirigeant. Cette notion est en partie laissée à l’appréciation des entreprises puisqu’elle doit combiner salaire fixe et variable sur une moyenne de « plusieurs années ».
Le temps de présence du dirigeant dans l’entreprise doit avoir été d’au moins deux ans. Ce type de dispositif doit par ailleurs avoir été consenti à d’autres personnes que les seuls mandataires sociaux.
Enfin, « l’augmentation des droits potentiels doit être progressive en fonction de l’ancienneté dans le régime et ne doit représenter, chaque année, qu’un pourcentage limité à 5 % de la rémunération du bénéficiaire ». Ce, afin d’éviterqu’un avantage trop important ne soit accordé au dirigeant peu avant son départ, par exemple.
« Les systèmes donnant droit immédiatement ou au terme d’un petit nombre d’années à un pourcentage élevé de la rémunération totale de fin de carrière sont de ce fait à exclure », souligne le code AFEP-Medef.
Le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a cependant rappelé, jeudi 23 octobre, que les critères déterminant les retraites chapeaux devaient êtreclarifiés – avant de préciser le 10 novembre que celle de Gérard Mestrallet était conforme au code de bonne conduite.
5. Qui vérifie l’application du code ?
Le code relève de la « soft law », une norme dont la sanction n’est qu’économique et de réputation. Les entreprises ont le choix d’appliquer le code, ou d’expliquer pourquoi elles ne le font pas – c’est le principe anglo-saxon du « comply or explain ».
Afin de suivre l’application du code Afep-Medef, mais aussi d’être force de proposition pour le faire évoluer, un Haut comité de gouvernement d’entreprise (HCGE) a été mis en place, en octobre 2013.
Il est présidé par Denis Ranque, le président du conseil d’administration d’Airbus Group (ex-EADS), et composé de sept membres, dirigeants d’entreprises, avocats et représentants des investisseurs.
Dans l’« affaire Varin », le HCGE, s’était ainsi autosaisi du dossier, avant le renoncement du patron de PSA. Le Haut comité avait alors stipulé qu’une retraite chapeau doit « tenir compte de la situation de l’entreprise » concernée.
Mardi 21 octobre, le HCGE a publié son premier rapport annuel dans lequel il donne son avis sur la façon dont les principales dispositions du code sont appliquées par les entreprises cotées.
En pratique, les points de retraite acquis auparavant par le dirigeant le resteront, mais « le nombre de points acquis nouvellement pourra être nul ou quasi-nul » si la santé de l’entreprise se dégrade, a redit M. Ranque, mardi 21 octobre.
Mais le HCGE n’a pas le pouvoir de modifier le code. Cela reste du ressort du Medef et de l’AFEP.
6. Beaucoup de patrons renoncent-ils à leur retraite chapeau ?
En août 2009, date des dernières estimations officielles diffusées par le gouvernement, 761 cadres dirigeants d’entreprises françaises bénéficiaient de ces régimes d’exception. Un palmarès établi l’an dernier par L’Expansionestimait que la moitié des patrons des entreprises du CAC 40 en profitaient.
La multiplication des polémiques depuis le milieu des années 2000 a pourtant progressivement jeté un opprobre sur cette pratique. En 2005, un contextetendu et la volonté affichée par le gouvernement d’encadrer les retraites chapeaux ont ainsi poussé Jean-René Fourtou à renoncer à 1,2 million d’euros offerts par Vivendi Universal, « ayant déjà une retraite [de 1,6 million d’euros] d’Aventis ».
Deux ans plus tard, l’ancien président d’EADS Noël Forgeard démentait les informations de l’hebdomadaire Marianne, selon lesquelles il percevrait une pension mensuelle de 100 000 euros malgré son remerciement et les doutes sur sa gestion.
La justice a également contraint quelques dirigeants d’entreprises à renoncer à cette manne. C’est notamment le cas de l’ancien patron de Carrefour, Daniel Bernard, dont les émoluments de départ avaient provoqué, en 2005, un scandale.
Parti avec la certitude de toucher une pension annuelle de 1,243 million d’euros, soit 40 % de son ancien salaire, M. Bernard avait dû faire face, peu de temps après, à une offensive judiciaire des actionnaires de son ancien groupe.
Pour la première fois dans l’histoire, en 2008, la cour d’appel de Paris avait purement et simplement annulé sa retraite chapeau, jugeant que l’ancien PDG n’avait pas démontré avoir rendu à l’entreprise des « services particuliers » qui justifieraient le versement d’une « rente viagère ».
Cette décision a donné des idées à Vincent Bolloré, qui a tenté (en vain) de priver Alain de Pouzilhac, l’ancien PDG de son groupe Havas, de ses 137 500 euros annuels de retraite chapeau en 2009. La même année, l’ancien patron de Vinci, Antoine Zacharias, est devenu le premier PDG du CAC 40 poursuivi pour abus de pouvoir dans le but d’influencer ses rémunérations et avantages financiers. Condamné l’an dernier à 375 000 euros d’amende, il conserve pour l’instant sa pension annuelle de 2,2 millions d’euros.
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/10/24/un-an-apres-philippe-varin-les-retraites-chapeaux-font-de-nouveau-polemique_4511799_4355770.html