Ce qu’il faut savoir sur le seuil symbolique des 3 millions de chômeurs en France
La barre des trois millions de demandeurs d’emploi sans activité a été franchie en août, a confirmé ce matin le ministre du Travail Michel Sapin. Mais que signifie vraiment ce chiffre? Est-ce une première pour la France? Et peut-on espérer repasser la barre dans l’autre sens? Nos réponses.
« C’est mauvais, c’est forcément mauvais, au rythme qui était déjà acquis avant l’été, je m’attends bien entendu à ce que le chiffre, qui est symbolique mais enfin qui est fort, des trois millions de chômeurs en France sera dépassé », a déclaré ce mercredi matin Michel Sapin sur France 2, avant même la publication des statistiques officielles, attendue ce soir à 18 heures.
Y a-t-il vraiment trois millions de chômeurs en France?
Tout dépend des chiffres que l’on retient. Michel Sapin fait référence au nombre de demandeurs d’emplois inscrits à Pôle emploi en catégorie A, c’est-à-dire sans activité. Ils étaient 2,987 millions en métropole fin juillet, selon les statistiques publiées par le ministère du Travail la semaine dernière. Il suffit donc qu’il y en ait eu au moins 13.000 de plus en août pour que ce seuil ait été effectivement atteint, comme l’a annoncé le ministre de l’économie. L’indicateur choisi est toutefois loin de refléter toute la réalité du chômage. D’abord parce qu’il ne tient pas compte des habitants des départements d’outre mer: en les comptabilisant, on arrivait en effet fin juillet à 3,232 millions. Le seuil de trois millions a donc déjà été dépassé depuis longtemps. Par ailleurs, si l’on ajoute les demandeurs d’emplois ayant une activité réduite (catégories B et C), le total atteignait, fin juillet, 4,733 millions.
A l’inverse, toutes les personnes inscrites à Pôle emploi ne sont pas considérées comme des chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT). Un chômeur au sens du BIT est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions: être sans emploi, c’est à dire ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, durant une semaine de référence; être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ; avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent. Selon cette définition officielle, retenue par la plupart des pays, la France métropolitaine comptait 2,7 millions de personnes au chômage au premier trimestre – les chiffres du deuxième trimestre seront publiés le 6 septembre. Au sens du BIT, le seuil des trois millions n’a jamais été atteint en France
En quoi est-ce un seuil symbolique?
C’est un seuil aussi symbolique – et traumatisant pour le gouvernement en place – que l’avait été le passage du cap du million en 1977 et des deux millions en 1982. La première fois que la barre symbolique des 3 millions de chômeurs a été franchie en France, c’était il y a 20 ans, au cours du premier trimestre 1993 (voir l’infographie du Figaro.fr), avec François Mitterrand président de la République, Pierre Bérégovoy Premier ministre et Martine Aubry au ministère du Travail. Ces mauvais résultats ont d’ailleurs nui à la gauche au pouvoir, balayée par la droite aux élections législatives de mars. C’est d’ailleurs le nouveau Premier ministre de cohabitation, Edouard Balladur, qui annonce, le 30 mars 1993, que pour la première fois la France connaît plus de trois millions de chômeurs.
Plus qu’un symbole politique, ce seuil de trois millions de chômeurs est surtout le symptôme de la mauvaise santé de l’économie tricolore. Il y a vingt ans, la France connaissait sa deuxième récession depuis la fin de la seconde guerre mondiale – la première avait été enregistrée en 1975, conséquence du choc pétrolier de 1973: en 1993, le PIB tricolore a reculé de 0,7%, conséquence de la crise monétaire que traversait alors l’Europe – incertitude sur les taux de change, instabilité des monnaies. Le scénario se reproduit aujourd’hui. Suite à la crise financière mondiale, la France a replongé en récession fin 2008, son PIB a reculé de 3% en 2009. Depuis lors, le chômage ne cesse de grimper. Le cap des trois millions de chômeurs est franchi alors que l’économie tricolore, plombée par la crise de la dette en zone euro, fait du sur place depuis trois trimestres.
Combien de temps faudra-t-il pour repasser la barre dans l’autre sens?
L’expérience prouve qu’il faut du temps pour repasser sous le seuil de trois millions de chômeurs. Il aura ainsi fallu attendre deux ans pour que le nombre de demandeurs d’emplois retombe sous trois millions, en mars 1995. Et l’accalmie n’a duré qu’un an: le cap des trois millions a de nouveau été franchi début 1996, pour une durée là encore de deux ans – jusqu’en juillet 1998.
Face à l’urgence actuelle, François Hollande a consacré le premier conseil des ministres de la rentrée, mercredi 29 août, à « la bataille pour l’emploi », considérée comme « l’enjeu numéro un du quinquennat ». Le ministre du Travail Michel Sapin y a présenté sa première mesure phare, les « emplois d’avenir » pour les jeunes non qualifiés, visant 150.000 contrats en 2014, dont 100.000 dès 2013.
Après ce projet suivront en 2013 les « contrats de génération », qui vont « permettre à des jeunes de rentrer dans l’emploi en CDI et permettre à des plus âgés de rester dans l’entreprise. De quoi colmater les dégâts mais pas d’inverser durablement la tendance: selon l’OFCE, il y aura 200.000 chômeurs de plus l’an prochain.
Car l’activité n’est pas suffisante pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail – 800.000 jeunes par an – et redonner un emploi aux chômeurs: pour que le chômage baisse, il faudrait une croissance annuelle de 1,5% du PIB. Or le gouvernement prévoit une croissance de 0,3% en 2012 et s’apprête à abaisser celle de 2013, à moins de 1%. Sur le front de l’emploi, le pire reste encore à venir…
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