Sénat: un train de vie de première classe
Le Sénat, malgré quelques repentances contrites, continue à cacher sous ses fauteuils confortables mille petits arrangements et autant de gros privilèges. Déplacements, téléphone portable et ordinateur… au Palais du Luxembourg on vit sur un grand pied.
Promis, juré, le Sénat s’est converti à la rigueur, même si les crédits dont il dispose ont augmenté de 3,42% en 2014. Tous les budgets ont connu « un petit serrage de boulons » ces dernières années, assure l’ancienne sénatrice communiste Nicole Borvo Cohen-Seat.
Le traitement des sénateurs a été aligné sur celui des députés : 7100,15 euros d’indemnité parlementaire et 6 037,23 euros de frais de mandat. Les bonus du président et des questeurs ont été rabotés de 20 à 30%.
Quatre postes ont été supprimés parmi la cinquantaine de chauffeurs. Les logements de fonction, nichés dans le (très beau) quartier du Luxembourg sont peu à peu reconvertis en espaces de travail avec canapé-lit en guise de pied-à-terre parisien. Les bureaux actuels, vieillots pour la plupart, n’en disposent pas, mais le Sénat rembourse les nuits d’hôtel dans une limite de 120 euros par jour de séance.
La lettre change, l’esprit demeure. Au Palais du Luxembourg, tout n’est que luxe et confort. Les fonctionnaires, révérencieux, sont aux petits soins. « Celui qui veut travailler au Sénat peut le faire dans de bonnes conditions », euphémise le secrétaire d’Etat, et ex-sénateur PS de l’Isère, André Vallini. Ancienne employée du service ressources humaines d’une grande entreprise, la sénatrice du Val-de-Marne Catherine Procaccia (UMP) s’étonne de certaines procédures.
5000 euros sur trois ans pour le téléphone portable et l’ordinateur
L’usage exclusif de la compagnie Air France, par exemple et le recours systématique aux formules les plus chères avec toutes les garanties d’annulation, même pour les vols intérieurs. Les achats groupés ne font pas partie non plus de la doctrine sénatoriale. Le choix du téléphone portable ou de l’ordinateur est laissé à l’appréciation des élus, dont l’enveloppe pour ces équipements atteint 5000 euros sur trois ans. L’Assemblée nationale, elle, a négocié pour les députés un forfait spécifique, moins coûteux.
A Longpont-sur-Orge (Essonne), le Sénat entretient des serres pour approvisionner en plantes et en fleurs le palais du Luxembourg et les parterres de son jardin, que bichonnent 75 personnes pour un coût annuel de 12 millions d’euros. Au moins, cette pratique désuète confère-t-elle un semblant de vernis écolo à la Haute Assemblée, très loin de l’exemplarité en la matière. « Aucune ampoule basse consommation sur les lustres, des kilomètres de couloirs vides éclairés, le chauffage qui s’échappe par le vitrage simple », s’étrangle Joël Labbé, parlementaire (EELV) du Morbihan.
Le sénateur doit travailler en toute liberté, débarrassé des soucis d’intendance. Il bénéficie de cinq lignes téléphoniques fixes gratuites – ce qui n’empêche pas certains d’en demander… jusqu’à dix ! Pour se déplacer, il jouit d’un accès gratuit illimité, et en première classe, au réseau SNCF, de 40 vols par an entre Paris et sa circonscription et de six allers-retours en avion vers la destination française de son choix. « J’ai souvent utilisé ces billets à titre personnel », reconnaît un ancien.
Pour lire les rapports qu’il écrit (et ceux de ses collègues), le sénateur peut se faire rembourser deux paires de lunettes par an. Voilà peu de temps, il n’y avait aucune limite et certains, sur le départ, s’en faisaient faire plusieurs exemplaires d’avance en anticipant la détérioration de leur vue.
L’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) est aussi l’occasion de filouter. Jean-Louis Masson, sénateur non inscrit de la Moselle : « Les cumulards bénéficient d’une voiture de fonction du conseil général ou de la mairie, d’un bureau et de personnel. Ce qui leur permet de se mettre dans la poche une bonne part de leur IRFM. Les autres, comme moi, en ont bien besoin pour payer leur permanence et leurs frais d’essence. » « Chacun se fixe son code de conduite personnel », reconnaît Michèle André (PS), élue du Puy-de-Dôme.
Jean-René Lecerf, sénateur UMP du Nord, propose une révolution : « Attribuer l’IRFM sur présentation des factures. » Contraindre les sénateurs à remplir des notes de frais pour recevoir leur indemnité, comme de simples salariés? Pas le genre de la maison…
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