
La fortune cachée des Balkany
Deux villas somptueuses au Maroc et dans les Caraïbes. Des travaux pharaoniques dans leur moulin de Giverny. La justice soupçonne les Balkany de blanchiment de fraude fiscale.
Un retour vers le futur judiciaire. Dix-neuf ans après l’affaire des HLM des Hauts-de-Seine, les époux Balkany sont de nouveau cernés par les juges. En cause, leur incroyable fortune supposée. Eux qui ne déclarent que leurs revenus d’élus, de l’ordre de 12.500 euros mensuels, seraient en fait propriétaires cachés, derrière une cascade de sociétés écrans et de comptes off shore, de deux véritables « palaces », estimés à plusieurs millions d’euros : la villa Pamplemousse sur l’île de Saint-Martin dans les Caraïbes et le Riad Dar Gyucy à Marrakech.
Jeudi soir, après quarante-huit heures de garde à vue, Isabelle Balkany, première adjointe au maire de Levallois, et Jean-Pierre Aubry, ex-directeur de cabinet de son mari Patrick, ont été mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale et placés sous contrôle judiciaire avec interdiction de sortie du territoire.
La première aura, d’ici fin août, à payer une caution de 1 million d’euros. Jean-Pierre Aubry, ancien sportif de Levallois devenu homme de confiance des époux Isabelle Balkany, écope d’une caution de 75.000 euros à verser d’ici la fin juin.
Soupçonné d’avoir servi de prête-nom via des sociétés occultes et des montages financiers à Singapour, Aubry a d’ores et déjà dû rendre son passeport. « Cela a été très tendu, Jean-Pierre est resté muet pendant quarante-huit heures, n’a pas dit un mot sur PV, glisse un de ses proches. C’est quelqu’un de fidèle et discret. » « Aucun commentaire », réagit pour le JDD Me Grégoire Lafarge, l’avocat historique des époux de Levallois. « Bonjour et au revoir », dit Balkany sur son portable avant de raccrocher. « Passez un bon week-end », glisse son épouse avant de faire de même. En quarante-huit heures, c’est un château de cartes de 20 ans qui semble être par terre…
Officiellement, les deux palaces ne sont pas à eux. Depuis des années, les Balkany disent se rendre à Saint-Martin et à Marrakech en simple « locataires ». Un premier « alibi » bien fragile. La villa Pamplemousse, achetée à la fin des années 1990, et qui s’appelait alors « maison du soleil » était louée à des stars de Hollywood, dont Cindy Crawford, jusqu’à 15.000 dollars… par semaine!
L’autre argument des Balkany depuis vingt ans, pour expliquer l’origine de leur fortune, est la société de prêt-à-porter du père de Patrick Balkany, Laine et Soie Réty, dont il a hérité. Mais l’enquête des juges Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, déclenchée à l’automne dernier par Éliane Houlette, le nouveau procureur national financier, semble aussi avoir fait litière de ce deuxième « alibi ».
«En quarante-huit heures, c’est un château de cartes de 20 ans»
C’est Didier Schuller, l’ancien patron des HLM des Hauts-de-Seine, autrefois proche des Balkany, qui a réveillé les soupçons. En épluchant les 32 tomes du dossier des HLM – qui lui a valu sa cavale en 1995, puis sa condamnation à un an ferme et une relaxe pour Balkany – Schuller est tombé sur deux rapports de police, de 1998 et 2001, qui n’avaient curieusement jamais été exploités par la justice.
Ni par les juges de son dossier, ni par les procureurs successifs des Hauts-de-Seine. Le premier rapport démontre que la société Soie et Laine Réty, alors en déconfiture de 28 millions de francs, avaient été opportunément renfloué entre 1989 et 1990 à hauteur de 31 millions de francs, via une discrète société suisse basée à… Zurich. « Cette vente d’actions peut avoir servi à masquer le versement de fonds à M. Patrick Balkany », écrivait le policier en 1998. En clair, à l’époque, Balkany aurait « blanchi » des fonds occultes en rachetant des parts de la société familiale.
À la lecture de ce rapport, l’an dernier, Schuller tilte : il sait que Patrick Balkany a disposé d’un compte à l’ABN Amro Bank, une banque de… Zurich. Et pour cause, selon nos sources, Schuller va admettre devant le juge Van Ruymbeke avoir alimenté ce compte dans les années 1990. Avec cette nuance, dit-il au juge, qu’il pensait « collecter pour le RPR », pas pour le maire de Levallois.
« Si les fonds familiaux de Patrick Balkany, supposés être à l’origine de sa fortune, sont en fait des fonds occultes… toute la suite du montage s’effondre », résume un enquêteur. Dès 2001, les policiers s’étaient interrogés sur un autre compte bancaire occulte supposé des Balkany dans l’île de Saint-Martin et avaient découvert que le propriétaire officiel de la « maison du soleil » était une discrète société basée dans un des paradis fiscaux les plus opaques du continent européen, le Lichtenstein. Mais là encore, l’enquête s’était arrêtée là.
Avec les révélations de Schuller de l’automne dernier, elle a repris. Lors d’une perquisition à Giverny, les policiers ont pu visiter les lieux, notamment le dressing de Patrick Balkany et ses centaines de costumes… et de paires de chaussures.
Même décor « absolument grandiose », selon plusieurs témoins, à Marrakech, au Riad Dar Gyucy, acheté en 2008 pour 5,5 millions d’euros. « En entrant, vous tombez dans un hall comme le hall d’un grand hôtel avec des lustres immenses. Vous êtes dans le temple du luxe bling-bling avec des tableaux partout… J’ai vu plusieurs statues de Botero. À gauche, trois grands salons d’une centaine de mètres carrés chacun… le tout donne sur une piscine immense et sur un parc d’un hectare. À droite du hall, une grande salle à manger, et une cuisine sur deux niveaux avec dans ses sous-sols une véritable caverne d’Ali-Baba de victuailles, vins fins et chambres froides. »
Ce visiteur se souvient d’une « dizaine de chambres à l’étage, qui ont toutes leur dressing et salle de bains », et d’avoir visité celle des maîtres des lieux : « Elle est grandiose, avec une télé gigantesque et Patrick et Isabelle ont chacun leur salle de bains »… Pour ce visiteur, qui préfère rester anonyme, pas de doute que les époux Balkany sont « ici chez eux » avec une douzaine d’employés de maison à plein-temps. « Ils font même construire une maison au fond du jardin pour leurs enfants »…
«Sarkoy : Ceux qui ont fait des bêtises paieront »
Jusqu’où ira l’affaire? Protégé par son immunité parlementaire, Patrick Balkany – présumé innocent, comme son épouse et son directeur de cabinet – ne pourra être entendu sous le régime de la garde à vue et éventuellement placé sous contrôle judiciaire qu’après un feu vert du bureau de l’Assemblée nationale. À terme, le fisc, si l’enquête pénale démontrait que les deux villas sont bien aux époux Balkany, devrait aussi leur réclamer des comptes. « Au titre de l’ISF et de l’impôt sur les revenus sur dix ans, cela pourrait vite faire des sommes rondelettes », détaille un avocat fiscaliste. À la clé, les juges chercheront aussi à savoir… d’où venaient les fonds qui ont permis achats, travaux et train de vie!
« Dès 1995, Schuller a été témoin de beaucoup de choses, notamment sur leur résidence principale, le moulin de Giverny, que les époux Balkany ont légué via une donation à leurs enfants et dont ils ne sont qu’usufruitiers », confie un proche de l’ancien patron des HLM des Hauts-de-Seine. Acheté 2,7 millions de francs au début des années 1980, juste après son élection à la mairie de Levallois, le moulin a été, selon plusieurs témoins, le théâtre de travaux « pharaoniques ». « La SAE, un gros fournisseur des HLM, a notamment construit la première piscine », se souvient un ancien de l’office. « On parlait à l’époque, pour la seule piscine, de plus de trois millions de francs de travaux », dit-il. Selon ces sources, une vingtaine de millions de francs de travaux auraient été effectués dans le moulin dès les années 1980…
« Balkany règne depuis 1983 sur Levallois, un rectangle de 1 km de long sur 1,5 km de côté, où depuis trente ans se sont construits des millions de mètres carrés de bureaux et de logements… Jusqu’à présent, les juges n’ont pas été très curieux », soupire un élu d’opposition. Judiciairement parlant, les temps changent… « Ceux qui ont fait des bêtises les paieront », a dit Nicolas Sarkozy, vendredi, à l’un de ses visiteurs. Politiquement parlant aussi?
http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/La-fortune-cachee-des-Balkany-668158